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Visite de Poutine à Paris : "Il y a beaucoup à faire pour rétablir la confiance"

Emmanuel Macron reçoit Vladimir Poutine, lundi, dans le faste de Versailles. Un test diplomatique pour le président français qui doit nouer une relation de travail avec le président russe, après l'avoir accusé de déstabiliser sa campagne électorale.

Emmanuel Macron achève son baptême du feu diplomatique, lundi 29 mai, en recevant pour la première fois depuis son élection un chef d'État étranger. C'est le président russe Vladimir Poutine qui aura cet honneur. Symbole fort alors que les deux hommes auront beaucoup à faire pour dissiper leur méfiance mutuelle, afin de bâtir une relation de travail nécessaire au règlement des dossiers ukrainien et syrien.

Prétexte à cette rencontre, qui n'aura pas lieu à l'Élysée mais au Grand Trianon à Versailles : une exposition sur la visite historique effectuée par le tsar Pierre Le Grand en France en 1717, considérée comme le "point de départ des relations stables" entre les deux pays. "L'idée est de souligner, à travers une visite conjointe de l'exposition, l'ancienneté et la profondeur du lien entre les deux pays", explique-t-on du côté de la présidence française.

Des accusations d'ingérence au pragmatisme

Dès le lendemain de l'élection d'Emmanuel Macron, le 8 mai, le président russe avait exhorté son nouvel homologue "à surmonter la méfiance mutuelle" dans son message de félicitations. Évoquer l'Histoire avec un grand H ne sera donc pas de trop pour que les deux chefs d'État repartent du bon pied.

"Je ne crois pas que Vladimir Poutine porte une grande estime au président Macron. On a pu observer une campagne anti-Macron dans les media russes, inféodés au pouvoir, qui ont tenté de présenter le président Macron comme un jeune homme peu intelligent, qui n'aurait aucun mérite, qui devrait tout à une 'dynastie Rothschild' imaginaire…", estime Sergueï Pougatchev à France 24.

Cet ancien oligarque a longtemps été proche de Vladimir Poutine, qu'il a contribué à porter au pouvoir en 1999. Il n'est cependant plus aujourd'hui en odeur de sainteté à Moscou. Il accuse d'ailleurs le Kremlin de l'avoir exproprié et réclame devant la Cour d’arbitrage de La Haye des milliards d'euros de compensation.

"Ce n'est un mystère pour personne que le Kremlin voulait une victoire de M. Fillon, et encore plus de Mme Le Pen, que Moscou soutient et finance depuis des années", affirme l'ancien oligarque, alors que dans le même temps Emmanuel Macron avait fait de son opposition à la Russie de Poutine un axe fort de sa campagne.

Le symbole de Versailles en question

Dès lors, le revirement d'Emmanuel Macron avec cette réception en grande pompe du président russe, seulement quinze jours après son entrée en fonction, pose question. À gauche, chez les partisans de la France insoumise, on ironise beaucoup sur les titres critiques que la presse se serait empressée de donner si un Jean-Luc Mélenchon président avait pris cette initiative. Même constat amer chez les déçus de François Fillon.

"#Macron va inviter #Poutine à Versailles. Que n'aurait-on pas entendu si @JLMelenchon avait fait ça !" @Vannier75 #LCI #FranceInsoumise

— Avec Paul Vannier (@Vannier2017) 24 mai 2017

Si en tant que président, F. #Fillon recevait V. Poutine à Versailles, les journalistes s'étranglerait tous de rage: "Comment ? Poutine ?!".

— plicxotr (@plicxotr) 24 mai 2017

Il s'agit d'un simple "clin d'œil à Mitterrand" veut-on rassurer du côté du gouvernement, à propos du lieu de réception. En 1992, le président socialiste avait fait à Boris Eltsine, alors maire de Moscou, les honneurs du palais du Trianon.

Segueï Pougatchev y voit une certaine forme de flatterie envers un Vladimir Poutine qui se rêve en nouveau tsar de Russie : "Je pense qu'il doit être ravi d'être reçu à Versailles dans le cadre d'une exposition à Pierre Ier. Un empereur russe consacré dans le domaine du Roi-Soleil, cela ne peut que flatter ses ambitions impériales".

Dans Le Parisien, Frédéric Biamonti, auteur du documentaire "Versailles, rois, princesses et présidents" préfère rappeler que le choix d'une rencontre à Versailles dénote une certaine ambivalence : "Accueillir un chef d'État là-bas, c'est à double tranchant", explique-t-il. "D'un côté, il s'agit de l'honorer copieusement, d'inscrire cette rencontre dans le temps, tant le lieu symbolise l'État dans ce qu'il a de plus précieux. Et d'un autre côté, il s'agit d'écraser son hôte sous le faste, de l'étouffer sous la grandeur tricolore."

Même constat chez Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche Stratégique et spécialiste de la Russie : "Les Russes apprécieront sans doute la symbolique et cela tranche avec l’épisode d’octobre dernier quand Poutine avait annulé sa visite à Paris pour l’inauguration du nouveau centre culturel et spirituel russe", dans le 16e arrondissement de Paris, explique la chercheuse à France 24. "Versailles n’est pas le saint du saint du cœur du pouvoir français, la visite se déroule dans un cadre plus informel, ce qui, d’un côté, peut amener des discussions plus libres mais d’un autre côté incarne, aussi, le fait que la relation franco-russe, en l’état, demeure sur la réserve."

Emmanuel Macron veut asseoir sa stature internationale

Pour Isabelle Facon, toutefois, on assiste bien à l'ouverture d'un nouveau chapitre : "Pour les deux dirigeants, la campagne présidentielle est finie et une nouvelle séquence s’ouvre : la diplomatie et donc le pragmatisme reprennent leurs droits", estime la chercheuse. "La situation de sécurité en Europe exige ce dialogue, celle au Moyen-Orient le recommande, la pression de certains groupes d’intérêt économiques français aussi sans doute", indique-t-elle.

Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a voulu désamorcer toute polémique dès le 22 mai sur France Info : "Dialoguer, ce n'est pas s'aligner". Lors de sa déclaration à la clôture du G7, samedi 27 mai, Emmanuel Macron a d'ores et déjà promis qu'il aurait un "discours exigeant" et "sans aucune concession" avec le président russe, tout en adoptant la politique de la main tendue.

Avec Poutine, "dialoguer, ce n'est pas s'aligner", affirme Castaner #8h30Aphatie pic.twitter.com/ScJdS2pdAy

— franceinfo (@franceinfo) 26 mai 2017

"Avec cette rencontre, les objectifs poursuivis par Emmanuel Macron sont de plusieurs ordres. Sur le plan intérieur, il s’agit de faire taire ses détracteurs", explique Arnaud Dubien, Directeur de l'Observatoire franco-russe et à l'Institut de Relations internationales et Stratégiques (Iris), à France 24. "Sur le plan diplomatique, il s’agit de montrer que la France, qui a toujours entretenu une relation particulière avec la Russie, veut tenter de repartir d’un bon pied avec Moscou après un quinquennat Hollande marqué par un recul de la relation bilatérale."

Poutine veut réchauffer les relations franco-russes

Côté russe, cette entrevue est très attendue. Le site d'information russe Vzigliad parle d'une "rencontre indispensable", la chaîne CBR évoque quant à elle des "fiançailles" entre la France et la Russie. Alexandre Orlov, l'ambassadeur russe en France, multiplie les compliments sur le nouveau président français : "Macron est un homme très intelligent, réaliste, pragmatique. […] Avec lui, on a plus de chances de progresser qu'avant", a loué le diplomate vendredi devant des chefs d'entreprises français, après avoir indiqué que la Russie était prête à "faire le premier pas", une déclaration significative.

"La relation bilatérale dans son ensemble a bien sûr souffert des crises syrienne et ukrainienne mais elle reste indiscutablement meilleure que celle qu’entretient la Russie avec les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne", relativise Arnaud Dubien. "De fortes coopérations scientifiques, universitaires, culturelles et économiques ont été préservées. Notre pays est depuis trois ans le premier investisseur étranger (hors zones off-shore) en Russie et le premier employeur étranger."

Les propos très élogieux de l’ambassadeur Orlov sur Emmanuel Macron depuis son élection dans la presse française montrent que pour Moscou les enjeux sont élevés. "La Russie, même si elle a montré qu’elle ne craint pas de vivre dans un climat d’hostilité dans ses rapports avec les Occidentaux, cherche les voies d’une relation moins fermée avec eux", analyse pour sa part Isabelle Facon. "C’est d’autant plus important pour le Kremlin que la 'piste Trump' pour remettre sur les rails les relations avec l’Occident est sérieusement compromise – cela rend la relation avec les Européens plus importante", explique la spécialiste de la Russie.

L'Ukraine et la Syrie au cœur des discussions

Le Kremlin a précisé que le nouveau chef de l'État français avait lancé cette invitation avec l'intention de "faire connaissance et d'établir un contact de travail". Pour faciliter cette prise de contact, les deux présidents se retrouveront d'abord en tête-à-tête, à la mi-journée. Puis, ils déjeuneront, entourés de leurs délégations, avant de tenir une conférence de presse conjointe et visiter l'exposition. Au menu des discussions : les relations franco-russes, leurs visions respectives de l'avenir de l'Union européenne, la lutte antiterroriste et les crises régionales (Ukraine, Syrie, Corée du Nord et Libye). Autant de sujets sur lesquels se sont entretenus en amont les ministres français et russes des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian et Sergueï Lavrov, pour préparer la rencontre.

"Ces dernières années, c’est sur le dossier syrien que les deux pays ont le plus croisé le fer", rappelle Arnaud Dubien. "Leurs approches se sont opposées frontalement, que ce soit sur la lecture des origines du conflit, le rôle de Bachar al-Assad, leurs alliances locales respectives, leurs priorités militaires, le futur de la Syrie, le format diplomatique de règlement de la crise." Emmanuel Macron a déclaré notamment qu'il chercherait à "construire de manière beaucoup plus collective une solution politique inclusive" en Syrie, alors qu'aujourd'hui les pays du G7 sont exclus du processus de paix au profit de la Russie, de l'Iran et de la Turquie.

Lors de sa conférence de presse finale du sommet du G7 de Taormina, le nouveau président français s'est d'ailleurs fait le chantre du "dialogue exigeant" avec la Russie sur l'Ukraine allant même jusqu'à lancer que "la Russie [avait] envahi l'Ukraine", alors que Moscou dément encore toute implication dans le conflit. À cette occasion, il a réclamé qu'une nouvelle réunion sur le sujet se tienne "au plus vite" et au "format Normandie" (Russie, Allemagne, France et Ukraine).

"Le président russe exposera à Emmanuel Macron ses positions sur l’Ukraine et la Syrie, en guettant d’éventuelles évolutions de la ligne française par rapport à ces dernières années", avance Arnaud Dubien

Emmanuel Macron évoquera-t-il les droits de l'Homme ?

Dernier sujet qui pourrait s'inviter dans la discussion : la question du respect des droits de l'Homme en Russie. Dans une lettre publiée vendredi sur le site Internet "Let My People Go !", des proches de détenus et de militants politiques ukrainiens appellent Emmanuel Macron à relayer auprès du président russe "notre exigence de libérer tous les otages politiques du Kremlin". Une pétition sur le site Change.org appelle le président français à condamner les répressions d'homosexuels en Tchétchénie et à pousser Vladimir Poutine à intervenir.

Sergueï Pougatchev note à cet égard que "les récentes attaques contre les libertés publiques et la sphère culturelle sont très inquiétantes. L'illustration récente est les déboires policiers que vient de connaître ces derniers jours Kirill Sererbrennikov [un dramaturge russe, NDLR], qui a été interrogé de longues heures, dont le théâtre et le domicile ont été perquisitionnés sous des accusations fantaisistes. J'espère que le président Macron abordera ces sujets".

Pour Arnaud Dubien, une intervention du chef de l'État français sur ces sujets est "envisageable" et s'inscrit même dans la tradition française : François Mitterrand avait notamment plaidé pour la libération de Sakharov lors de sa première rencontre au Kremlin avec Mikhail Gorbatchev. "Deux approches sont possibles", note le chercheur : "Soit s’exprimer de façon générale sur les droits de l’Homme, en appelant la Russie à améliorer la situation ; soit intervenir dans des cas concrets, en vue par exemple de faire libérer telle ou telle personne". Toutefois, il ne faut pas s'attendre à la panacée : "La Russie prend de moins en moins de gants pour rappeler aux Occidentaux que ses affaires intérieures ne les regardent pas".

"Un brusque revirement des relations franco-russes est à exclure"

Pour les deux partis, l'objectif de la rencontre sera avant tout de "rouvrir le jeu" et d'améliorer le climat général. De là à s'attendre à un changement total des relations franco-russes ? Pour Arnaud Dubien, "c’est trop tôt pour le dire. Un brusque revirement est à exclure, mais des inflexions sont peut-être possibles. En toute hypothèse, ce sera du donnant-donnant. La France et la Russie comprennent que l’impasse actuelle est néfaste à leurs intérêts, mais les marges de manœuvre sont limitées car personne n’aime se dédire et admettre ses erreurs".

Sergueï Pougatchev est beaucoup plus pessimiste : "Je pense que c'est assez illusoire de croire qu'on puisse avancer avec Poutine: ce dernier ne respecte jamais ses engagements, aussi bien internationaux qu'internes. Il ne faut donc pas s'attendre à une évolution spectaculaire des relations internationales", estime-t-il.

Emmanuel Macron ayant résolument inscrit sa politique étrangère dans l'Union européenne, il devra composer avec ses alliés au sein de celle-ci. Une contrainte qui risque d'entraver ses efforts pour un rapprochement avec la Russie au vu de l'hostilité latente entre les pays issus du bloc soviétique et le grand voisin russe.