Après le dynamitage des deux grands partis politiques lors du premier tour de l’élection présidentielle, nous ne sommes pas encore au bout de la déconstruction.
Un nouveau jour se lève sur la vie politique française. Les électeurs ont désigné pour le combat final pour la présidence deux personnalités qui incarnent non pas un affrontement gauche/droite mais plutôt d’un côté, une vision "nationaliste" et une autre "européiste" voire "mondialiste".
Ce choc sera sans concession. D’une part, Marine Le Pen, qui appelle à une fermeture des frontières et à une sortie des mécanismes de solidarité européens, aimante ceux qui pensent que la France perd son identité et sa souveraineté. De l’autre, Emmanuel Macron, qui a été le seul à témoigner sa foi dans une construction européenne, fédère ceux qui pensent qu’elle nous protège. Ceux qui acceptent, confiants, les défis de la mondialisation et ont une conception ouverte de l’identité et de la culture française.
Les deux grands partis gauche/droite qui ont gouverné alternativement la France depuis 60 ans vont donc assister à cet affrontement en spectateurs sans être certains d’y survivre.
La situation est la plus critique pour le PS "résiduel". Le Parti socialiste, dont le candidat Benoît Hamon était pris en tenaille entre En Marche ! de Macron et la France insoumise de Mélenchon, se réduit à quelques hiérarques "hollandais" et une poignée de frondeurs pourtant ennemis jurés. Il n’est même pas certain que ce qu’il en reste parvienne à rester uni.
Étrangement, dimanche soir, certains socialistes, comme Jean-Marie Le Guen ou Julien Dray, ne semblaient pas s’exprimer comme des perdants, comme si Emmanuel Macron faisait toujours partie de leur famille. Le premier secrétaire du PS s'est d'ailleurs empressé, lundi matin, de repousser l’heure des "explications" à l’après législatives.
Mais le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Olivier Faure, n’est pas sur la même ligne et appelle à reconnaïtre une "faute collective" dans la déroute de Benoît Hamon. Pas sûr que d'anciens ministres "frondeurs", tels que Arnaud Montebourg ou Aurélie Filippetti, acceptent la proposition du cacique hollandais Stéphane Le Foll de laisser au Premier ministre Bernard Cazeneuve le soin de mener les troupes au combat. Quant à Manuel Valls, il ne cherche même plus à sauver les meubles de la rue de Solférino, puisque pour lui c’est "la fin d’une histoire, la fin d’un cycle". L’ancien locataire de Matignon paraît sur le point de prendre son envol, actant la réalisation de sa prédiction des deux gauches "irréconciliables".
Irréconciliables, elles le sont entre une tendance radicale flirtant de plus en plus avec le gauchisme et une tendance sociale-libérale prête à travailler avec le centre-droit européen. Même pour faire barrage au Front national, Jean-Luc Mélenchon refuse d’appeler à voter pour Emmanuel Macron, ce qui pour Jean-Christophe Cambadélis est une "faute historique". Ce choix pourrait bien empêcher le chef des "Insoumis" de capitaliser (il n’aime pas le mot) sur son très bon score pour incarner autour de sa personne une gauche unie et reconstruite dans l’opposition. En ne prenant pas ses responsabilités, il pourrait au contraire accélérer son atomisation.
Chez les Républicains, les perspectives sont à peine meilleures. Certes leur candidat François Fillon, malgré le tort que lui ont causé ses ennuis judiciaires, enregistre un score honorable. Si l’on considère que les 4,8 % de Nicolas Dupont-Aignan s’expliquent par la recherche d’un refuge pour des électeurs de droite dans la double impossibilité de voter Fillon ou Le Pen, on constate que la droite a de beaux restes. Elle peut tout à fait espérer gagner des législatives. À condition de s’entendre elle aussi sur une ligne.
L’émergence d’un pôle central avec En Marche ! l’oblige elle aussi à une clarification. Entre europtimistes et eurosceptiques d’une part. Mais aussi sur des questions morales et économiques. Quoi de commun entre la tendance "Sens Commun" qui reprend à son compte le "ni-ni" (ni Le Pen ni Macron) et la droite "sociale" des Raffarin ou Baroin ? Entre Christine Boutin, qui pourrait voter Le Pen à "certaines conditions", Nadine Morano qui refuse d’appeler à voter pour celui qu’elle continue d’appeler "Emmanuel Hollande" et Alain Juppé, qui doit se dire qu’il aurait pu gagner cette élection (s’il n’avait pas perdu la primaire), et qui appelle à "revoir la ligne politique" des Républicains. Et Nicolas Sarkozy, qui n’a encore rien dit…
Pendant que les deux grands perdants essaieront de remettre un tant soit peu d’ordre dans leurs troupes exsangues, le risque serait que tout le monde oublie qu’il y a encore, avant les législatives, un second tour de la présidentielle. Emmanuel Macron a commis hier soir sa première erreur en donnant trop ouvertement l’impression de célébrer prématurément une victoire.
Marine Le Pen a sans doute fait une mauvaise campagne de premier tour, mais elle peut encore faire une très bonne campagne de second tour. En attaquant, comme elle a commencé de le faire, le côté "faiblard" de son adversaire face au danger du terrorisme islamiste, ou en tentant de transformer le scrutin en un référendum sur la "mondialisation libérale". Elle pourrait continuer d’attirer la France des fins de mois difficiles, celle qui souffre d’un mal identitaire, profiter du désarroi de la gauche et d’une partie de la droite éliminée. L’abstention sera sa grande alliée.