
Facebook a annoncé lors de sa conférence F8, qui s’est ouverte mardi 18 avril à San Jose, le lancement de Facebook Spaces, plateforme communautaire en VR d’ores et déjà accessible en bêta. En découvrant tout ça, j'ai un peu perdu pied.
Je pense faire partie de cette catégorie de gens qui s’enthousiasme pour une bonne majorité des nouveautés tech et social media, du moment bien sûr que j'y trouve un intérêt, même moindre. La réalité – et attention, ce que je vais dire-là relève de l’aveu –, c’est que je suis assez terrifiée à l’idée de devenir ce que j’appelle une "aigrie du progrès", qui considère que le plus bel objet tech qui n’ait jamais été créé restera à jamais la Super Nintendo et, éventuellement, le 3310 de Nokia. Bien sûr, mon devoir de journaliste m’oblige à ne pas sauter au plafond à la moindre annonce du côté de la Silicon Valley et à la décortiquer du mieux possible, mais je suis certaine que vous voyez ce que je veux dire.
Je dois dire que la réalité virtuelle telle que veut l’exploiter Facebook m’a foutue un sacré cafard
Hier, lors de la conférence F8 de Facebook réservée aux développeurs, Mark Zuckerberg et sa fine équipe ont dévoilé les grands axes stratégiques du réseau social pour l’année à venir. Sans grande surprise, on a donc appris que l’avenir vu par la firme de Menlo Park était fait de trois technologies distinctes : la réalité augmentée, sur laquelle Facebook semble clairement vouloir mettre le paquet (à tel point que je me fais du sérieux souci pour Snapchat, même si la plupart des fonctionnalités annoncées par Facebook sont loin d’être finalisées), les bots, qui devraient devenir nos futurs concierges, et enfin, la réalité virtuelle.
Si toutes les annonces autour de la réalité augmentée m’ont plutôt convaincue, je dois dire que la réalité virtuelle telle que veut l’exploiter Facebook m’a foutue un sacré cafard. Avec Facebook Spaces, plateforme pensée pour l’Oculus Rift désormais disponible en bêta, le leader des réseaux sociaux explique vouloir nous faire "sentir nous-mêmes en réalité virtuelle". D’accord. C’est-à-dire ? En recréant tout bonnement notre univers social, devenu déjà bien immatériel, dans un monde virtuel où chacun d’entre nous prendra la forme d’un avatar personnalisable. On en avait déjà eu un aperçu en octobre lors de la conférence Oculus Connect, mais on sait maintenant que ça ressemblera à ça :
Sérieusement, a-t-on vraiment envie de "partager" des moments avec nos "amis" Facebook sous la forme d’un personnage digne d’un jeu vidéo éducatif pour les 6-12 ans ? Personnellement, cette idée me donne des frissons. Exploiter la VR pour s’immerger à plusieurs dans un paysage en vue d’un futur voyage par exemple, va encore. Je dois dire aussi que pouvoir visiter l’appartement d’un proche "à ses côtés" a aussi un côté fun. Mais il y a pour moi quelque chose de profondément déprimant dans le fait de récréer une fête d’anniversaire avec de faux cotillons, ou encore d’improviser un atelier peinture dans une ambiance "barbecue chez les Sims".
Le point culminant de la vacuité de Spaces est à mon sens atteint dans cette capture d’écran :
J’ai déjà très peu d’estime pour l’objet qu’est le selfie stick, alors autant vous dire qu’un selfie stick en VR est la véritable incarnation du cauchemar en 2017. Surtout pour obtenir un selfie d’avatars.
Accepter docilement notre sort, comme toujours
Bien sûr, je ne remets pas en question la qualité des avancées technologiques proposées ici par Facebook : la possibilité de créer directement son avatar à partir d’une photo de profil, celle d’analyser et de reproduire nos expressions, de parvenir à nous immerger en temps réel dans tout un tas de lieux en présence d’autres personnes, là où jusqu’ici, la réalité virtuelle restait une expérience somme toute solitaire. Mais j’ai sincèrement du mal à partager cette vision du réseau social de demain avec Mark Zuckerberg.
Facebook est toujours parvenu à nous faire adopter ce qu’il voulait à tout prix nous faire adopter
Le fait est que depuis son apparition dans nos vies quotidiennes, Facebook est toujours parvenu à nous faire adopter ce qu’il voulait à tout prix nous faire adopter. Ce fut le cas pour Messenger, dont on a téléchargé (presque) sans rechigner la version application indépendante de Facebook. Même chose pour les "réactions", qu’on aurait pu juger à force tout à fait niaises et manichéennes, mais qu’on utilise à peu près tous aujourd’hui. Mais aussi des vidéos en live, qui ont été plus qu’imposées aux pages médias, des fameux "souvenirs", pénibles reminders souvent hasardeux de nos publications passées mais qu’on se plaît, finalement, à régulièrement relayer…
Oui, il faut bien l’avouer, jusqu’à présent, Facebook est toujours parvenu à ses fins. Preuve en est avec son succès grandissant face à Snapchat, qu’il s’est clairement donné pour mission de réduire en miettes. Alors s’il croit dur comme fer (ou s’il souhaite juste rentabiliser sa coûteuse acquisition d’Oculus) à la "Social VR", comme il la nomme, il parviendra sans doute à tous nous convertir en avatar 3D. Et là, je suis forcée de jouer les "aigries du progrès" : ça risque d’être glauque. Très glauque.
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