Un État américain vient d'interdire le "lunch shaming", une pratique consistant à humilier les enfants dont les parents n'arrivent pas à payer les frais de cantine. Une discrimination qui existe aussi en France malgré des garde-fous constitutionnels.
Humilier les enfants pour "responsabiliser" les parents de familles défavorisées est une pratique malheureusement courante dans le milieu scolaire. De nombreuses voix s'élèvent contre la pratique discriminante du "lunch shaming", qui a cours dans certaines cantines d'écoles.
Dans l'État américain du Nouveau-Mexique, un texte de loi "Hunger-Free Students' Bill of Rights", signé le 13 avril 2017, vient d'interdire cette pratique. Initié par le sénateur Michael Padilla, lui-même victime de "lunch shaming" quand il était enfant, ce texte empêchera les écoles de stigmatiser les enfants de familles pauvres. Mais ailleurs dans le pays, la technique est toujours tolérée. Elle consiste à punir, par une situation embarrassante, des enfants dont les parents ne peuvent pas payer les frais de cantine ou sont en retard de paiement.
Certaines écoles apposent un tampon "I need lunch money" ("Il me faut de l'argent pour la cantine") sur le bras de l'enfant, d'autres leur intiment de nettoyer les tables de self pour rembourser leur dette. Mais il y a aussi les établissements scolaires qui retirent leurs plats chauds aux enfants dans l'incapacité de payer. "Je ne pense pas que l'intention de ces politiques soient d'humilier", tempère Susana Martinez dans le New York Times, directrice du groupe anti-pauvreté New Appleseed. "Cela dit, nous devons séparer l'enfant d'une dette qu'il n'a pas le pouvoir de payer."
Un cadre constitutionnel inefficace en France
En France, de telles pratiques sont illégales. Ainsi, la loi Ferry du 28 mars 1882 énonçait déjà le principe constitutionnel de la gratuite scolaire sans aucune exception. Ce principe est rappelé dans le rapport du Défenseur des droits en 2013 sur l'accès des enfants à la cantine, ainsi que par le Conseil d'État le 11 juin 2014 : "La cantine scolaire doit être accessible à tous les enfants sans discrimination tarifaire et tout particulièrement aux enfants les plus pauvres."
Mais la base constitutionnelle et législative qui empêche normalement les écoles de créer une cantine à deux vitesses n'empêche pas ces dernières de le faire. Par exemple, au Pontet, dans le Vaucluse, la mairie refuse de financer les repas des enfants les plus défavorisés. Le but : "responsabiliser les parents" selon Xavier Magnin, directeur de cabinet du maire Front National Joris Hébrard.
L'accès à la cantine, ou quand la pauvrophobie touche les enfants
Cette idée de faire prendre leur responsabilité aux parents est souvent invoquée par les défenseurs de telles mesures. Sauf que les enfants de ces familles sont les premières et seules victimes de ces pratiques, qui les stigmatise comme "enfant pauvre" dans les écoles.
"Cette mesure stigmatise et discrimine l'enfant"
En Gironde, une école a mis en place depuis la rentrée 2016 un "menu de substitution" pour les enfants dont les parents n'avaient pas réglé à temps les frais de cantine. Cinq enfants ont bénéficié de ce menu, uniquement composé de raviolis en boîte. Ce qui induit forcément un déséquilibre alimentaire pour les écoliers les plus précaires : ceux-là ont donc mangé la même chose tous les midis pendant plusieurs semaines.
Une méthode "certes déplorable mais nécessaire" pour Jean-Bernard Bielher, maire-adjoint en charge de l'éducation. L'argument souvent invoqué est celui du nécessaire respect du budget. "Cette mesure stigmatise et discrimine l'enfant", résume François Coineau, élu Europe-Écologie-Les-Verts (EELV) au Figaro. "Et l'argumentaire est stupide car chaque année, nous validons des impayés de cantine sous forme d'aide du Centre communal d'action sociale, mettant les compteurs à zéro."
Tout cela porte un nom : la pauvrophobie, qui consiste à tenir les personnes défavorisées (réfugiés, SDF ou familles pauvres) pour entièrement responsables de leurs situations, voire les blâmer pour les aides sociales dont elles bénéficient. Une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) de juin 2016 montre que depuis 2008, de moins en moins de personnes considèrent que les personnes pauvres "n'ont pas eu de chance".
Le "lunch shaming" a cela de pervers qu'il stigmatise avant tout les enfants, à un moment de leur vie où il est pourtant primordial qu'ils s'épanouissent et soient tous égaux dans cette instance égalitaire qu'est officiellement l'école.
Avec un cadre législatif déjà existant mais inefficace, la seule solution demeure celle des plaintes au cas par cas contre les communes, souvent portées par la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). "Nous gagnons à chaque fois puisque nous nous appuyons sur le principe d'égalité d'accès au service public, qui est constitutionnel", explique au Figaro Jean-Jacques Hazan, ancien président de la FCPE. "Le service public est un droit pour tous! Y déroger est illégal !"
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