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Des scientifiques japonais veulent creuser un trou dans la croûte océanique pour atteindre le manteau terrestre, situé à une dizaine de kilomètres sous nos pieds. Une entreprise qui nous en apprendra beaucoup mais nécessite une certaine préparation.
La course à la conquête de l'espace, la fascination pour Mars ou même Saturne ont un peu fait oublier la planète Terre et ces nombreux mystères. Pourtant, sur cette chère planète bleue, bien des choses restent à découvrir. Parmi celles-ci, une grande question reste sans réponse : qu'est-ce qu'il y a au centre de la Terre ?
Pour s'en rapprocher et mieux comprendre ce qui gît sous nos pieds, une équipe de scientifiques se prépare à creuser un trou qui atteindra le manteau terrestre. Il s'agit de la couche située sous les croûtes océanique et terrestre – celles qui sont immédiatement sous nos pieds – de notre belle planète. L'expérience, une grande première dans le monde de la géologie, a été initiée par l'Agence japonaise pour la science et la technologie maritime et terrestre (JAMSTEC) et rassemblera des scientifiques japonais, américains et de différents pays d'Europe.
Comprendre l'histoire et le fonctionnement de la Terre
Analyser la roche du manteau terrestre, qui constitue 80 % du volume de notre planète, peut considérablement enrichir notre compréhension de la Terre et de ses mouvements. Un point sur lequel le Japon se sent particulièrement concerné : "Au Japon, nous avons des volcans, des tremblements de terre et autres phénomènes naturels", explique Natsue Abe de la JAMSTEC à CNN. "Les gens veulent des équipements de surveillance et d'analyse, mais il est difficile de savoir sur quel type de facteur se baser. Nous devons observer la Terre plus précisément."
Ce n'est pas la première fois que les scientifiques tentent de forer jusqu'au manteau terrestre pour obtenir des réponses. Ce sont les Russes qui détiennent le "record" de forage avec le Kola Superdeep Borehole, un trou de 12 261 m de profondeur creusé entre 1970 et 1994, dans la péninsule de Kola.
The World's Deepest Artficial Hole, Kola Superdeep Borehole https://t.co/cLs9WM9paK pic.twitter.com/WH33cFoeEy
— Kupavena (@kupavena) 20 mars 2017
Mais ce trou, aussi impressionnant qu'il soit, n'avait pas réussi à atteindre le manteau terrestre. Le forage s'était arrêté à quelques kilomètres, encore dans la croûte terrestre – qui est la couche située directement sous nos pieds.
Un forage, plusieurs objectifs
"Nous ne connaissons pas encore la composition exacte du manteau", explique Natsue Abe. "Nous en avons seulement vu quelques bouts – la roche est très belle, un jaune tirant un peu sur le vert."
L'ambition de ce projet ne s'arrête pas au manteau terrestre. Outre la connaissance de cette couche interne de la Terre, ce forage a trois autres buts.
"Où s'arrête la vie sur Terre ?"
D'abord, mieux connaître la frontière entre la croûte océanique et le manteau terrestre. Ensuite, comprendre la composition et la formation de la croûte océanique elle-même. "Nous avons déjà creusé et pris quelques échantillons du sol océanique, mais seulement à sa surface", rappelle Natsue Abe. Le manteau n'est donc pas la seule star de cette entreprise.
Enfin, les scientifiques veulent savoir jusqu'à quelle profondeur de la Terre on peut observer une vie microbienne. "Quelle est la limite, où s'arrête la vie sur Terre ?", résume la géologue de la JAMSTEC.
Passer par l'océan, c'est plus facile pour creuser
Pour réussir, la JAMSTEC a adopté une stratégie différente du premier projet russe. Afin d'atteindre plus vite le manteau terrestre, le forage passera par la croûte océanique, plus fine que la croûte terrestre : elle fait 6 kilomètres d'épaisseur quand la croûte terrestre en fait une dizaine.
Pour ce faire, trois sites sont actuellement "candidats" pour le forage : les eaux au large des îles d'Hawaï, celles du Costa Rica et celles au large du Mexique. Mais Hawaï est pour l'instant la favorite : la température y est légèrement plus basse, facilitant le travail de forage. Dans tous les cas, il faudra traverser à peu près 4 kilomètres d'eau avant d'atteindre le fond de l'océan.
Si Hawaï est le lieu finalement choisi, une première équipe y passera deux semaines en septembre 2017, sur le bateau de recherche en eaux profondes Kairei, pour étudier l'épaisseur et la température de la croûte océanique grâce à des ondes sonores. Tout ceci afin de trouver le meilleur endroit pour le futur forage.
Un gros bateau pour une importante enveloppe
Si tout se passe bien, le forage en lui-même commencera dans les années 2020. Au plus tard, avant l'année 2030, affirme l'agence japonaise. C'est grâce au bateau de forage Chikyu qu'il se fera. Une star : "C'est le plus gros bateau de forage dans ce domaine", explique Natsue Abe à CNN. "Sa capacité de forage est trois fois plus longue et plus profonde que les bateaux précédents."
Pour tout ce beau projet, une enveloppe mirobolante : 60 milliards de yens (515 millions d'euros). Mais si le gouvernement japonais a promis sa participation financière, d'autres institutions ou gouvernements devront mettre la main à la poche. "Il y a quelques quelques problèmes à régler, particulièrement concernant le coût", confie Susumu Umino, professeur à l'université de Kanazawa, au média japonais The Yomiuri Shimbun. "Cela dit, rien que l'étude préliminaire sera un grand pas en avant pour faire avancer ce projet jusqu'à l'étape suivante."
Les résultats de ces deux semaines de recherche, en septembre prochain, achèveront peut-être de convaincre les investisseurs publics et privés de mener ce projet à bien. Le jeu en vaut clairement la chandelle.
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