
Une exposition sur la Grande Guerre à Paris s'éloigne des champs de bataille pour proposer un éclairage sur la mode féminine en 14-18. À travers des documents et des tenues d'époque, elle montre un aspect jusque là peu étudié du conflit.
Ne cherchez pas. Dans la dernière exposition de la Bibliothèque Forney, à Paris, consacrée à la Grande Guerre, il n’y a qu’un seul casque de poilus et c’est très bien comme ça. Dans les vitrines, les visiteurs peuvent découvrir des robes de grands couturiers, des uniformes d’infirmières, ou encore des photos de travailleuses.
À l’occasion de sa réouverture, ce lieu consacré à l’histoire des arts graphiques et des métiers d’arts a décidé de se pencher sur l’histoire de la mode et des femmes au cours de la Première Guerre mondiale. "Dans les livres d’histoire, il est écrit que la mode s’est arrêtée en 1914 et a repris en 1918. Pourtant, quand on consulte les archives, on voit que ce n’est pas vrai du tout et qu’elle n’a pas périclitée à cette période. Le sujet est riche et dense, mais rien n’avait été fait sur la France à cette période", explique Maude Bass-Krueger, l’une des deux commissaires de l’exposition.
La mode, une industrie puissante
Lorsque la guerre éclate en août 1914, les couturiers parisiens sont déjà en train de présenter leurs nouvelles collections. La mode est alors la troisième industrie en France et exporte énormément à l’étranger, principalement en Amérique du Nord et du Sud. Au plus haut sommet de l’État, les responsables politiques comprennent très vite que cette économie doit être préservée malgré le conflit qui débute. "L’industrie de la mode a tout de suite fait partie de l’effort de guerre. Elle ne pouvait pas s’arrêter, car elle rapportait tellement d’argent. Rien qu’à Paris, elle employait aussi à l’époque près de 80 000 midinettes, le surnom donné aux jeunes ouvrières ou vendeuses qui travaillaient dans la mode, décrit Sophie Kurkdjian, la seconde commissaire de l’exposition. "Acheter des vêtements pendant la guerre est devenu un devoir patriotique", insiste cette chercheuse en histoire de la mode.
Ce patriotisme se retrouve même dans les créations. Des planches de mode présentées dans l’exposition arborent des couleurs bleu, blanc, rouge et des détails militaires sur les robes. En première page des revues, les élégantes ont aussi laissé la place aux travailleuses qui ont remplacé les hommes partis au front : postières, conductrices de tramway ou munitionnettes. À l’arrière du front, elles incarnent le courage de la France. Mais pas question d’oublier sa féminité. Des magazines expliquent comment embellir sa blouse d’infirmière, ou ajouter un insigne patriotique à son chapeau ou à sa tenue de travail. Des conseils sont mêmes prodigués aux veuves pour bien choisir leur robe de deuil.
Des tensions au sein des couples
Ce mélange des genres, alors que les combats font rage, n’est pas sans poser problème. Dans les journaux, les "veuves joyeuses" sont critiquées pour leur frivolité et pour leur excès de consommation. Des tensions naissent aussi dans les couples. "Les cartes postales distribuées dans les tranchées aux soldats montrent une certaine féminité, celle d’une femme oisive au coin du feu qui s’occupe des enfants, mais quand ils rentrent en permission, ils découvrent une autre femme, celle qui est active et qui travaille", décrit Sophie Kurkdjian.
Mais qu’en est-il des vêtements en eux-mêmes ? Est-ce que la Première Guerre mondiale a radicalement changé les habits féminins ? "Avant le conflit, les robes étaient souvent longues, très entravantes, très étroites et très ornementées. C’étaient des tenues très riches. Mais la mode avait déjà commencé à changer avant que la guerre n’éclate. Le corset avait déjà été abandonné, et la silhouette s’était déjà simplifiée", estime la spécialiste de la mode.
Au-delà du simple aspect vestimentaire, la dernière partie de l’exposition nuance aussi la vision d’une guerre totalement émancipatrice pour le quotidien des femmes : "Cette période leur a fait voir que tout peut être différent, qu’on peut travailler, avoir des responsabilités, mais c’est simplement une fenêtre ouverte, une transition qui va préparer des révolutions futures. À l’armistice, la femme est finalement incitée à retourner à la maison pour faire des enfants", analyse Sophie Kurkdjian. Dans une vitrine, des photos résument cette situation. On peut y voir des suffragettes en 1914, puis en 1919. Leur combat n’a pas changé. Un an après la fin de la guerre, ces femmes réclament toujours le droit de vote. Elles ne l’obtiendront que vingt-cinq ans plus tard, en 1944.
Une robe de deuil exposée à la bibliothèque Forney
The Mourning Dress, Exhibition "Mode et Femmes, 14-18" at the Bibliothèque Forney from Filatures on Vimeo.