Plusieurs médias ont révélé, lundi, les dessous d’un vaste système de blanchiment d’argent qui a permis, notamment, à de riches oligarques russes de transférer plus de 20 milliards de dollars via plusieurs banques européennes.
C’est un système de blanchiment inédit et d’une dimension quasi-industrielle : il a permis à des oligarques, banquiers et autres de blanchir plus de 20 milliards de dollars provenant de Russie. Un argent placé dans les banques parmi les plus réputées au monde telles que la HSBC, la Bank of China ou la Royal Bank of Scotland (RBS). Des sommes qui ont ensuite permis de mener grand train.
Ce scandale de blanchiment massif a révélé, lundi 20 mars, par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP – un consortium de journalistes d’investigation sur le crime organisé et la corruption en Europe de l’Est), en partenariat avec le quotidien britannique The Guardian et le journal allemand Süddeutsche Zeitung. La fraude implique des oligarques proches du pouvoir russe, des banques de plusieurs pays de l’Est, des agents du FSB (ex-KGB) ainsi que des juges complaisants. Des révélations qui soulèvent des questions sur les procédures de contrôle au sein des plus grands établissements bancaires du monde pour éviter de faciliter la circulation d’argent aux origines douteuses.
L’essentiel rouage moldave
Entre 2010 et 2014, un groupe d’environ 500 personnes a pu faire sortir de Russie de vastes sommes d’argent “clairement volées ou d’origine criminelle”, d’après un enquêteur britannique interrogé par The Guardian. Au moins 20,7 milliards de dollars (19 milliards d’euros) ont ainsi été blanchis, mais le montant réel de cette vaste entreprise criminelle pourrait s’élever à près de 80 milliards de dollars (74 milliards d’euros), d’après le quotidien britannique.
L’affaire est inédite de par le système très raffiné mis en place pour mettre les fonds à l’abri. Ce “lavomatique russe”, comme l’a surnommé l’OCCRP qui travaille sur l’affaire depuis 2014, consiste en plusieurs étapes. Tout d’abord, deux sociétés écrans sont créées dans un pays européen avec une nette préférence pour le Royaume-Uni. L’une accorde un prêt bidon (qui n’existe que sur le papier) à l’autre. Ce crédit est garanti par une ou plusieurs entreprises russes et, toujours, un citoyen moldave, qui est un acteur clef du dispositif. La deuxième société déclare ne pas pouvoir rembourser l’argent… fictif. La première se retourne alors vers les garants. Comme l’un d’eux est moldave, les tribunaux de ce pays sont saisis où des juges complaisants reconnaissent la réalité de la dette.
Les garants russes vont alors pouvoir faire en toute légalité ce qu’ils cherchent à faire depuis le début : sortir les fonds de Russie pour les déposer sur un compte dans une banque moldave (la Moldindconbank). Les sommes sont ensuite transférées dans une banque lettone… C’est-à-dire à l’intérieur de l’Union européenne. Cet argent peut alors circuler beaucoup plus librement dans le reste de l’Europe et dans le monde.
Des centaines de milliers d’euros payés en hôtel et produits de luxe en France
Les banques britanniques – HSBC, RBS, Barclays... – ont reçu 740 millions de dollars (685 millions d’euros) de sociétés bidons enregistrés au Royaume-Uni agissant pour le compte de riches russes. Contacté par The Guardian pour savoir pourquoi l’origine de ces fonds n’a jamais été vérifiée, les banques concernées ont généralement botté en touche, refusant de “commenter des cas individuels”.
L’argent ainsi blanchi a servi à assouvir les goûts de luxe des riches oligarques dans plus de 90 pays. En France, l’OCCRP a retrouvé la trace de 125 583 euros réglés à un hôtel de luxe à Courchevel. Plus de 42 000 euros ont aussi été dépensés dans des boutiques de luxe françaises ou encore près de 366 780 euros ont été versés à des bijoutiers. Au total, 5,2 millions d’euros provenant de cet argent sale ont été dépensés en France entre 2011 et 2014. Ce n’est rien comparé au 1,2 milliard d’euros qui ont été dilapidés par les bénéficiaires du “lavomatic russe” en Estonie.
Si le circuit de blanchiment et la nature des dépenses effectuées sont dorénavant bien documentés, il reste encore des interrogations sur les réelles bénéficiaires de ce système. L’OCCRP affirme en avoir identifié trois : Alexeï Krapivin, le fils d’un ancien conseiller de Vladimir Poutine et patron des chemins de fer russes, Georgy Gens, un homme d’affaires moscovite à la tête d’un groupe informatique qui distribue les produits d’Apple, Samsung et d’autres groupes technologiques en Russie, et Sergeï Girdin, consul honoraire de Guinée-Conakry à Saint-Pétersbourg et patron d’une entreprise d’informatique. La Süddeutsche Zeitung, pour sa part, précise que les enquêteurs sont encore en train d’essayer d’identifier les protagonistes de cette affaire.
C’est aussi ce que les autorités moldaves essaient de faire depuis que l’OCCRP a, pour la première fois, évoqué ce scandale en 2014. Ils ont réussi à arrêter en 2016 l’homme d’affaires moldave Vyacheslav Platon, soupçonné d’avoir organisé cette grande lessiveuse russe. Plusieurs juges ont aussi été arrêtés et des banques ont été fermées pour cause de blanchiment d’argent. Mais l’enquête se complique dès qu’il s’agit de passer la frontière russe. La Moldavie a déploré, début mars, le "harcèlement systématique" de ses diplomates par les services de renseignement dès qu’ils entraient en Russie. Pour ce petit pays limitrophe de l’Ukraine, c’est la réponse de Moscou suite à l’intérêt porté à ce scandale.