
Face à la détermination de Theresa May à négocier un "hard Brexit", l'Écosse, qui avait voté pour rester dans l'Union européenne, souhaite organiser un nouveau référendum sur son indépendance et conserver sa place au sein du marché commun.
L'Histoire ne manque pas d'ironie. Le référendum de 2014 avait quasiment enterré l'espoir d'une Écosse indépendante du Royaume-Uni. Mais celui sur la sortie de l'Union européenne (UE), organisé en juin 2016, pourrait changer la donne et conduire à l'organisation d'une nouvelle consultation.
Ce scénario apparaît de plus en plus inévitable alors que Theresa May, dans son discours de Lancaster House du 17 janvier dernier, s'est prononcé pour un "hard Brexit", une sortie "dure" de l'UE avec la fin de la libre circulation des capitaux, des personnes, des services et des marchandises. En bref, le royaume sortirait purement et simplement du cadre politique, économique et financier de l'Union Européenne. Pour Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise issue du Scottish National Party (SNP), le parti nationaliste, cette option est inacceptable.
"Le 20 décembre dernier, le gouvernement écossais a publié un document présentant la stratégie défendue par l'Écosse par rapport à la sortie de l'Union européenne", explique à France 24 Nathalie Duclos, spécialiste de l'Écosse, enseignant-chercheur à l'université Jean-Jaurès de Toulouse. Dans ce document, Nicola Sturgeon menaçait d'organiser un nouveau référendum sur l'indépendance en cas de 'hard Brexit'.
Plus de 60 % d'Écossais pour le 'remain'
Pour le SNP, la menace est fondée. Lors du référendum de 2014, 55,4 % des Écossais avaient voté non à l'indépendance de l'Écosse. Le souhait de rester dans l'Union européenne était l’un des arguments de poids du camp unioniste, dans la mesure où une scission avec le Royaume-Uni n'aurait pas entraîné une adhésion automatique à l'UE. Cette envie d'Europe s'est retrouvée dans le résultat de la consultation de juin 2016 sur le Brexit : 62 % des Écossais y étaient opposés.
Plusieurs facteurs expliquent ce vote, selon les spécialistes de l’Écosse. Le premier tient à la nature du nationalisme écossais, explique à France 24 Gilles Leydier, professeur de civilisation britannique à l'université de Toulon. "Le SNP est fermement pro-Europe. Ce n'est pas un nationalisme identitaire crispé sur les frontières comme on peut voir un plus au sud." D’autant qu'"aucun homme politique de premier rang ni parti n'a appelé à voter pour le 'leave'. Il n'y pas eu en Écosse d'équivalent de Boris Johnson [depuis nommé ministre des Affaires étrangères], une figure capable de rendre crédible le Brexit", renchérit Nathalie Duclos.
Mais le gouvernement écossais a beau se sentir légitime de peser sur les négociations concernant la sortie de l'UE du Royaume-Uni, la Cour suprême britannique en a décidé autrement. Si le Parlement de Westminster – qui rassemble les députés de tout le Royaume-Uni– doit être consulté sur le déclenchement de l'article 50 du Traité de Lisbonne, ce ne sera pas le cas des parlements régionaux. Face à cette décision, Nicola Sturgeon a répliqué que le destin de l'Écosse serait donc "plus assuré entre [ses propres] mains", faisant explicitement placer la menace de l'indépendance et organisant un vote symbolique sur l'article 50 au Parlement écossais. Sans surprise, 90 députés sur les 124 ont voté contre le Brexit.
Ultime bravade, lors du vote sur le Brexit à la Chambre des Communes le 8 février, les députés écossais du SNP ont entonné l'"Ode à la joie", l'hymne européen.
Un fort besoin d'Europe
Une autre explication réside dans une vision très écossaise de l'immigration : "Les Écossais ne subissent pas le même phénomène migratoire que les Anglais, le taux d'immigration est très faible. Les Écossais pensent même en avoir besoin, elle n'est donc pas perçue comme un problème", analyse Nathalie Duclos.
"L'Écosse ne vit pas l'Europe de la même manière que le reste du Royaume-Uni", explique Gilles Leydier. "L'Écosse est plutôt demandeuse de la main-d'œuvre issue de l'UE. Le système universitaire écossais est moins élitiste que dans le reste du Royaume-Uni, plus ouvert sur le monde, Erasmus est donc un programme très populaire."
Cette forte demande d’intégration se manifeste également au niveau économique : "Certaines politiques de l'Union européenne entrent davantage en résonance en Écosse, notamment la Politique agricole commune (PAC) et celle des quotas de pêche".
Nicola Sturgeon acculée au referendum ?
Cependant, au sein même des indépendantistes, il y a deux camps : "Ceux qui veulent un référendum le plus vite possible, avant la sortie effective de l'UE, et ceux qui veulent attendre pour être sûrs que les électeurs écossais valident la sécession", selon Nathalie Duclos. "Sturgeon donne l'impression d'être de ceux qui prônent la patience. Elle sait que si ce référendum devait échouer, cela condamnerait définitivement l'indépendance, sans parler de sa carrière à elle."
La chercheuse nuance toutefois en rappelant qu'il serait erroné de voir les sympathisants SNP comme un bloc uniforme totalement pro-Europe : "On estime qu'un tiers des sympathisants a voté en faveur du Brexit. Ils ne voient tout simplement pas l'intérêt de transférer le pouvoir de Londres à Edimbourg si c'est pour l'offrir à Bruxelles", résume Nathalie Duclos. "Mais l'exécutif du parti s'efforce de dissimuler ce courant. Lorsque j'ai assisté au congrès du SNP en octobre, aucune des personnes qui se sont exprimées à la tribune n'a défendu cette vision."
"L'UE évolue sur l'idée d'une indépendance écossaise"
En Europe, l'indépendance de l'Écosse et son intégration à l'UE font débat. Les statuts prévoient qu'un candidat doit être coopté à l'unanimité des pays membres. En 2014, l'Espagne et la Belgique avaient averti qu'ils opposeraient leur veto à la candidature écossaise. Leur argument : l'indépendance de l'Écosse risquerait de créer un précédent pour les revendications régionalistes, au premier rang desquelles la Catalogne et les communautés wallonnes et flamandes.
Toutefois, là encore, le Brexit a changé la donne : "Il y a des pays qui verraient d'un bon œil que l'Écosse prenne la place laissée vacante par le Royaume-Uni au sein de l'Union, même si l'Espagne et la Belgique restent réticents pour les raisons qu'on leur connaît", explique Gilles Leydier.
Nathalie Duclos renchérit, "l'opinion [des autorités européennes] a déjà évolué sur le sujet si on en croit les déclarations des politiques écossais qui se sont rendus à Bruxelles pour rencontrer leurs homologues", raconte la chercheuse. "Même l'Espagne commencerait à revoir ses positions. Elle n'opposerait plus son veto à une demande écossaise de rester dans l'UE si on en croit certains titres de presse. Ce serait une évolution très marquante."
Mais le chemin est encore long. Jacqueline Minor, la représentante de la Commission européenne à Londres avertissait début février que l'Écosse indépendante devrait passer par une candidature officielle pour rejoindre l'UE. Le 23 février, Herman Van Rompuy, ancien président du Conseil européen, émettait de sérieux doutes quant à la possibilité que Bruxelles soutienne une indépendance écossaise contre le Royaume-Uni. Or il subsiste un obstacle de taille : constitutionnellement, c'est au pouvoir londonien qu'il revient d'autoriser une nouvelle consultation sur l'indépendance et d'en reconnaître le résultat.
En 2014, devant la victoire du SNP aux législatives, David Cameron, alors Premier ministre, avait consenti au référendum et promis de reconnaître le résultat. À l'époque, rien n'indiquait que le oui à l'indépendance ferait une telle percée et il s'en était fallu de peu pour que le Royaume-Uni n'éclate. Pas sûr que Theresa May soit encline à prendre ce risque : un sondage daté du 8 février donnait 49 % des Écossais prêts à voter en faveur de l'indépendance.
Prochain épisode le mardi 7 mars : "Malgré leur 'No', les Gallois veulent rester dans le marché unique"