L'école Thot a ouvert ses portes en juin 2016 à Paris. Elle offre aux migrants et réfugiés sans diplôme la possibilité d'apprendre le français, mais aussi d'envisager un projet professionnel, et ainsi de retrouver un peu de dignité.
La première fois que Mariame, la directrice pédagogique de l’école associative Thot, a appelé Ahmed* pour lui demander pourquoi il n’était pas à son cours de français, le jeune homme était presque agacé. À 31 ans, ce Soudanais qui a fui son pays ne se doutait pas que quelqu’un pouvait encore l’attendre quelque part.
Pourtant, lorsqu’elles ont imaginé Thot, cette école de français destinée aux migrants et réfugiés n’ayant pas obtenu l’équivalent du bac dans leur pays, Héloïse Nio, Judith Aquien et Jennifer Leblond se sont donné pour mission de préparer leurs étudiants à des examens officiels de français, le Dilf (Diplôme initial de langue française) ou le Delf (Diplôme d’études en langue française), en seize semaines.
Pour cela, comme dans un véritable établissement scolaire, elles se sont entourées de professeurs spécialisés mais aussi d'une psychothérapeute et d'une ancienne conseillère de Pôle emploi, chargée de l'orientation professionnelle. Dans ces conditions, pas question de rater un cours, à moins d’avoir une très bonne excuse.
Baptisée du nom du dieu égyptien du savoir, l’école a ouvert ses portes en juin 2016 grâce aux dons récoltés au cours d’une campagne de crowdfunding. Quarante étudiants suivaient alors leurs cours dans quatre salles réparties dans différents quartiers de Paris. L’association compte aujourd’hui une soixantaine d’élèves, répartis en cinq classes, et est installée au troisième étage du bâtiment de l’Alliance française, à l’ombre de la tour Montparnasse. Un lieu idéal selon les trois fondatrices : "Ici tout le monde apprend le français comme nos étudiants. Ils n’ont pas besoin de dire qu’ils sont réfugiés et peuvent participer aux animations comme n’importe qui". Au menu des seize semaines de cours des étudiants de Thot : une pédagogie adaptée, complétée par des ateliers de théâtre, de chant et de dessin.
Et la recette est payante. À la fin de la première session de cours, en septembre, plus de 90 % des élèves ont obtenu le diplôme qu’ils préparaient. Pour ce petit exploit, les étudiants de Thot ont été reçus par le recteur de l’académie de Paris, sous les dorures de la Sorbonne. Pour beaucoup, ce diplôme était le premier de leur vie.
"Le langage, une arme pour la survie et la dignité"
Kamila Sefta, 67 ans, est chargée de la classe d’alphabétisation destinée aux élèves qui n'ont jamais appris à lire ni à écrire dans leur pays d'origine. Après des années d’enseignement du français langue étrangère (FLE), elle sait combien le langage est indispensable pour une bonne intégration.
Pour ses étudiants, dont certains n’ont jamais tenu un stylo, il est "leur arme pour leur survie, leur dignité et leur liberté". Cette enseignante ne leur promet pas la lune, mais leur assure qu’après seize semaines, ils seront capables de "prendre le métro seul, remplir un formulaire ou aller chez le médecin".
Si les enseignants et l’équipe pédagogique de Thot refusent de considérer leurs élèves comme des migrants ou des réfugiés, la réalité les rattrape parfois. Il arrive ainsi qu’un étudiant manque un cours pour effectuer des démarches administratives. Pire : des élèves doivent parfois abandonner leur formation après avoir été transférés dans une autre région de France.
Mais, pour l’équipe pédagogique, ce qui distingue le plus leurs étudiants des autres, c’est leur volonté. "Je n’ai jamais eu d'étudiants aussi motivés. Ils sont extrêmement vifs et demandeurs", s'enthousiasme Thomas Lamouroux qui enseigne généralement en école de commerce pour un "public issu de milieux privilégiés".
"Thot a changé ma vie"
Adam, 21 ans, est né au Tchad et n’avait jamais été à l’école avant de s’inscrire à Thot. Dans les salles de cours de l’Alliance française décorées de cartes de France et du monde, il a appris à parler, lire et écrire le français. Encore hésitant, le jeune homme, qui rêve de devenir électricien, raconte qu’il enregistre tous ses cours de français pour les réécouter le soir chez lui.
Comme lui, Babakar* a le sentiment d’avoir un poids en moins sur les épaules depuis qu’il fréquente Thot : "Avant, je passais mes journées à penser à tous mes soucis. Maintenant, je rêve de devenir journaliste pour raconter ce qui se passe à l’étranger".
"Thot a changé ma vie", assure le jeune homme de 25 ans, qui a quitté le nord du Mali avec sa famille avant d’arriver en France en octobre 2015. Même s’il est toujours demandeur d’asile, il ose désormais faire des projets.
Babakar voudrait notamment découvrir les livres d’Albert Camus. Le jeune homme rêve de se plonger dans l’œuvre de l’auteur de "L’Étranger" depuis qu’il a rencontré Abd al-Malik. Le rappeur et écrivain est parrain de Thot. Il vient de sortir un nouveau livre sur la manière dont Albert Camus l’a inspiré.
Pour la pré-rentrée, il est venu rendre visite aux étudiants de Thot. Depuis, Babakar veut continuer à apprendre le français et "lire les livres qui l’ont motivé". "Ma nationalité, c’est le langage", a glissé Abd al-Malik aux étudiants de Thot. Et ça, Babakar n’est pas près de l’oublier.
* Les prénoms ont été modifiés