
Une pétition appelant à la destitution de Donald Trump gagne en popularité aux États-Unis, alors que l’administration vit sa première crise. Mais l’impeachment est une procédure complexe et peu crédible dans le contexte actuel.
Démission du conseiller à la Sécurité nationale, Michael Flynn, sur fond de contacts secrets avec des officiels russes, soupçons de conflits d’intérêt pesant sur le président Donald Trump et sa famille, retrait de la nomination du ministre du Travail, signature en rafale de décrets controversés : les détracteurs du 45e président des États-Unis ne savent plus où donner de l’indignation.
Ceux-là ont décidé, un mois à peine après que le magnat de l’immobilier s’est installé à la Maison Blanche, de lancer une pétition appelant à l’ouverture d’une procédure d’impeachment (destitution) qui a déjà recueilli plus de 850 000 signatures.
L’impeachment est devenu le nouveau terme médiatique à la mode et sa popularité ne fléchit pas, d’après les Google Trends relatives aux recherches "impeachment" aux États-Unis. Il est même possible de parier en ligne sur le temps qu’il reste à Donald Trump avant d’être destitué.
Mais cette procédure est très rare aux États-Unis, où elle n’a été déclenchée que trois fois (contre Andrew Johnson, Richard Nixon et Bill Clinton). Vincent Michelot, professeur à Sciences Po Lyon et spécialiste de l’histoire politique américaine, explique à France 24 les tenants et les aboutissants de l’impeachment.
Donald Trump est président depuis un peu moins d’un mois et on parle déjà d’impeachment. Que faut-il pour destituer un président aux États-Unis ?
Vincent Michelot : C’est une procédure très encadrée. La Chambre des représentants, en tant qu’émanation du peuple, désigne une commission, qui doit rédiger des actes d’accusation contre le président. Ces derniers sont ensuite soumis au vote en séance plénière. Si les actes d'accusation sont approuvés [une majorité simple suffit, NDLR], alors la Chambre désigne des "managers", de fait des procureurs, qui vont présenter le cas au Sénat.
La Chambre haute siège alors comme un tribunal, qui est présidé par le président de la Cour suprême. Il examine les actes d’accusation et, si une majorité des deux tiers [67 voix, NDLR] se dégage à l’issue du vote final, le président est destitué. Il est remplacé par le vice-président. En l’occurrence Mike Pence deviendrait le nouveau président des États-Unis.
Que nous enseignent les précédentes procédures d’impeachment aux États-Unis ?
Qu’elles n’aboutissent pas. Il y a eu deux cas qui sont allés jusqu’à un procès : Andrew Johnson, en 1868, après la guerre de Sécession [il a évité la destitution à une voix près, NDLR], et Bill Clinton en 1998 dans le cadre de l’affaire Monica Lewinski.
On cite souvent la procédure d’impeachment lancée contre Richard Nixon après les révélations du Watergate, mais il faut souligner que le 37e président des États-Unis a démissionné le 8 août 1974 avant même que la Chambre des représentants n’ait pu voter sur les actes d’accusation, qui avaient été préparés par la Commission judiciaire.
Existe-t-il des raisons de penser qu’une procédure d’impeachment peut être ouverte contre Donald Trump ?
En France et en Europe, on est fasciné par la possibilité d’un impeachment mais il ne faut pas oublier que Donald Trump dispose d’une confortable majorité républicaine dans les deux chambres, qui n’aurait rien à gagner politiquement d’une telle procédure. Elle est chronophage, lourde et empêcherait les élus de travailler sur des sujets, qui pourraient faire avancer leur cause en vue d’une éventuelle réélection. Lors d'une procédure d'impeachment, la machine législative se trouve quasiment paralysée.
En outre, c’est une procédure très encadrée et même s’il y avait des millions de personnes dans la rue réclamant une destitution de Donald Trump, encore faudrait-il qu'il existe des charges concrètes répondant à la définition de l'article II de la Constitution, qui parle de "trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs". Les révélations autour des contacts entre l’équipe de campagne de Donald Trump et des officiels russes - aussi troublantes soient-elles - ne pourront que difficilement être retenues contre le président, car il n’était pas encore en exercice. On pourrait imaginer retenir la charge de parjure en affirmant que Donald Trump a menti en disant qu’il ne connaissait pas la teneur des discussions, alors qu’il était déjà à la Maison Blanche. Encore faudrait-il pouvoir le prouver. J’imagine mal, par exemple, des officiels russes qui viendraient reconnaître que Donald Trump était au courant de tout. Quant aux conflits d'intérêts, la jurisprudence comme les textes sont très flous et sujets à interprétations contradictoires.
Donald Trump ne craint donc pas grand-chose ?
La procédure d’impeachment est un miroir aux alouettes pour les opposants à Donald Trump et il ne faut pas trop se focaliser dessus. La véritable opposition à la politique actuelle peut venir des tribunaux fédéraux et du Congrès, y compris de la majorité républicaine. Un juge a ainsi bloqué le décret sur l’interdiction d’entrée sur le territoire américain de ressortissants de sept pays.
Le show permanent entretenu par le président peut aussi faire oublier une donnée essentielle : le Congrès ne s’est pas encore mis au travail. Qui sait s’il va lui donner les moyens financiers de sa politique, ne serait-ce que pour bâtir le mur à la frontière mexicaine ?