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Même à plus de 10 km sous l’eau, au fond de la fosse des Mariannes dans l'océan Pacifique, des scientifiques ont retrouvé des traces importantes de polluants très toxiques.
La pollution humaine n’épargne personne. Pas même les petits crustacés qui vivent dans l’un des lieux les plus isolés de la civilisation : le fin fond de la fosse des Mariannes, à 10 kilomètres sous la surface des eaux entre les Philippines et le Japon. Du PCB (polychlorobiphényle), un polluant cancérogène qui a été présent dans les fours à micro-ondes ou certaines peintures, a été retrouvé dans ces organismes par une équipe internationale de scientifiques qui a publié ses conclusions dans la revue Nature Ecology & Evolution, lundi 13 février.
C’est la première fois que des traces de polluants aussi toxiques, interdits en Europe et aux États-Unis depuis les années 1970, ont été relevées à une telle profondeur. "On en a déjà trouvé dans les eaux profondes en Méditerranée, mais jamais aussi loin sous la surface de l’eau", confirme François Galgani, spécialiste d’éco-toxicologie à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), contacté par France 24. Nul ne sait encore quel peut être l’effet de ces produits sur le fragile écosystème de la fosse des Mariannes.
Chaîne alimentaire
Les niveaux de pollution sont loin d’être anecdotiques : les crustacés attrapés par un robot sous-marin de l’équipe scientifique avaient un niveau de contamination 50 fois supérieur à "celui d’un crabe qui survit typiquement dans une rivière très polluée en Chine", notent les auteurs de l’article.
Mais la fosse des Mariannes n’est pas non plus devenue la poubelle du monde : "les niveaux sont plus élevés aux abords de certains centres industriels, mais il est vrai qu’ils ne sont pas négligeables", nuance François Galgani.
Ce PCB n’a pas fait le trajet des côtes européennes depuis les années 1980 pour venir se déverser dans la fosse des Mariannes. "L’hypothèse la plus probable et la plus raisonnable d’imaginer que la source de la pollution provient du sud-est asiatique [Chine, Vietnam, Cambodge]", explique François Galgani. D’abord parce que l’interdiction, si elle existe — le PCB est toujours autorisé au Cambodge —, est plus récente, et aussi parce que dans cette zone marine, le courant vient de l’ouest, c’est-à-dire des côtes asiatiques.
Du reste, le polluant a encore dû trouver son chemin jusqu’au plus profond de l’océan. D’après les auteurs de l’article, le PCB s’est très certainement raccroché à la chaîne alimentaire pour descendre les 10 km qui le séparait des petits crustacés. "La matière organique dérivée du vivant, comme le plancton mort, s'agrège avec des substances minérales pour former un agrégat qu’on nomme ‘neige marine’ [un phénomène impressionnant qui ressemble à de vraies tempêtes de neige] et qui sert de nourriture aux animaux des grands fonds marins", explique le scientifique de l’Ifremer. C’est ainsi que les crustacés concernés — des détritivores (qui mangent des détritus) — ont pu se retrouver à ce point exposés à ces produits hautement toxiques.
Evaluation des risques
Cette pollution des abysses a amené les scientifiques qui l’ont découverte à se demander quelles pouvaient être les conséquences pour l’écosystème des très grands fonds. Il est, en effet, plus fragile qu’à la surface, car il y a moins d’espèces qui évoluent à ces profondeurs et "elles sont un cycle de reproduction plus long", note l’expert français. Si le PCB, dont l’un des effets connus est de perturber le processus de reproduction, venait à mettre en danger l’une des espèces, il pourrait rompre le fragile équilibre qui règne si loin du regard humain.
François Galgani juge que le niveau de pollution observé ne devrait pas "avoir un impact important sur l’écosystème", tandis que les scientifiques impliqués dans la découverte vont s’attaquer à tenter d’évaluer les conséquences de cette contamination. Avec en pointillé la question de savoir quels autres polluants persistants ont pu s’installer tout au fond des océans.