Après quatre ans d'absence, le coureur américain est de retour sur le Tour de France, dont le départ est donné ce samedi à Monaco. Dans une interview à FRANCE 24, Pierre Ballester, co-auteur du livre "Le Sale Tour", revient sur ce come-back.
FRANCE 24 - Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que Lance Armstrong revenait dans la compétition et sur le Tour ?
Pierre Ballester - Le monde du cyclisme le savait depuis quelques jours car Lance Armstrong avait préalablement fait une demande auprès de l’Union cycliste internationale [UCI]. Ma réaction fut celle de la stupéfaction, du dépit voire de la révolte. Pour moi, c’est le Tour de trop. Il a quitté la Grande Boucle en 2005. Au grand soulagement de tous, et là il revient. C’est trop !
F24 - Malgré les soupçons de dopage qui pèsent sur le septuple vainqueur du Tour de France, comment l’UCI et Amaury sport organisation (ASO, la société organisatrice de l'événement) ont pu laisser Armstrong revenir sur la Grande Boucle ?
P.B - Il faut leur poser la question ! On recense dans notre livre ["Le Sale Tour", éd. Seuil] tous les traitements de faveur que l’UCI lui a réservés, comme elle ne l'a fait pour aucun autre sportif. Nous évoquons également le fait que Lance Armstrong ait effectué une transaction financière en direction de l’UCI. Une opération sujette à toutes les interprétations possibles. Il a donc bénéficié d'énormément de passe-droits. En réalité, il est même complètement protégé !
De l’autre côté, il y a ASO qui peut se prévaloir de récuser tel coureur ou telle équipe, ce qu’elle vient encore de faire avec Tom Boonen, au nom de l'atteinte à l'image du Tour de France. Elle aurait donc pu tout aussi bien récuser Lance Armstrong. Car pour lui, ce ne sont pas des suspicions mais des faits de dopage. La seule autorité habilitée à prendre des décisions à l’encontre d’un coureur est l'UCI derrière qui tout le monde se réfugie. Et aucune autorité, qu'elle soit politique, ministérielle ou antidopage, ne peut influencer l’UCI, car elle n’a de comptes à rendre à personne. Fatalement s’il n’y a pas de décisions prises au niveau de l’instance sportive, il ne peut pas y en avoir d’autres. Lance Armstrong bénéficie effectivement de la mansuétude de l’UCI et de ce tapis rouge déroulé sous ses pieds par la société organisatrice.
F24 - Pourquoi, selon vous, Lance Armstrong revient-il après quatre ans d’absence ? Que cherche-t-il à prouver ?
P.B - Il y a plusieurs motifs mais il y a d’abord cette notion d’exister, de toujours être dans le haut du panier, d'être reconnu universellement. Mais il y a plus que ça. Sa motivation première est de sensibiliser les gens à la cause du cancer, ou plus prosaïquement, à sa fondation, qui lui permettrait de devenir l’abbé Pierre du vélo, le Bruce Willis du cancer et d'acquérir un statut d’homme public généreux. Sur cette base, il pourra légitimer des ambitions politiques puisqu’il n’a jamais démenti les rumeurs qui le disait intéressé par l’idée de briguer le poste de gouverneur de l’État du Texas en 2014.
F24 - Une victoire de Lance Armstrong peut-elle nuire à l’image du Tour de France ?
P.B - L’image est déjà écornée. Année après année, des coureurs sont tombés, des gros poissons, et la crédibilité sportive est largement entamée. Faire revenir Armstrong sur le Tour de France réduit en poussière cette crédibilité qui n’est plus la priorité des organisateurs. Le sport devient un alibi pour faire beaucoup d’argent et pour s'assurer une surexposition médiatique. La priorité n’est pas franchement la lutte antidopage ou la réhabilitation d’une crédibilité sportive. C’est le business qui prime et c’est le sport qui, en général, est comme cela aujourd'hui. Si Armstrong gagne, tout le monde, les médias compris, fera semblant de s’enthousiasmer pour la huitième victoire de Lance Armstrong. Mais cela ne sera pas rendre service au sport et à ceux qui en défendent les valeurs.
F24 - Lance Armstrong est-il à l’abri d’un contrôle ?
P. B. - Surtout pas ! Il est dans le collimateur de l’AFLD [Agence française de lutte contre le dopage, NDLR], qui a déjà eu affaire à lui. Il a eu du mal à s’en défaire au mois de mars dernier. Un contrôle qui a fait couler beaucoup d’encre dans la mesure où il a été fait dans des conditions très suspectes. L’AFLD n’a pas insisté mais le fait d’avoir violé le règlement puisqu’il s’était soustrait à la présence du médecin préleveur pendant plus d’une vingtaine de minutes, laisse place à toutes les suspicions. L’AFLD n’a pas jugé bon de le poursuivre, mais elle a marqué son territoire en lui faisant comprendre qu'il était considéré comme un coureur à part entière. Il est donc probable qu'il soit soumis à des contrôles inopinés, mais je ne pense pas qu’il tombera par ce biais-là. Il ne faut pas fantasmer sur ses méthodes : pas de génie génétique ou de thérapie cellulaire. Les moyens de se doper sont suffisamment nombreux en ce moment pour ne pas avoir à y recourir.
L’une des deux questions majeures qui va se poser, c’est de savoir s’il va gagner la course, et s'il va se faire pincer. Pas tout de suite, en tout cas...
F24 - Des tests effectués par l’Agence mondiale antidopage [AMA] sur des échantillons de Thomas Dekker datant de 2005 ont contraint son équipe à l’écarter du Tour. Pourquoi ne peut-on pas faire de même avec Lance Armstrong ?
P. B. - Parce que les échantillons incriminés, ceux de 1999 [le journal "L’Équipe", en août 2005, avait révélé une utilisation, cette année-là, de l’EPO à six reprises, NDLR], sont sous le coup de la prescription. Lance Armstrong a refusé de se soumettre à une autre examen de l’AFLD. Pour procéder à un nouvelle analyse de l'échantillon urinaire, il faudrait avoir l’aval du coureur… Et il s’en garde bien !