Les troupes de la Cédéao sont toujours stationnées à la frontière sénégalo-gambienne, jeudi, alors que le président sortant Yahya Jammeh refuse de céder le pouvoir à son successeur à quelques heures de son investiture. Décryptage de la situation.
En Gambie, le président sortant, Yahya Jammeh, refuse toujours de quitter le pouvoir, alors que son successeur doit prêter serment, jeudi 19 janvier, à l’ambassade gambienne de Dakar.
Des troupes sénégalaises et nigerianes, sous mandat de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), sont actuellement regroupées à la frontière gambienne. Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l'ONU doit se prononcer, jeudi, sur un texte autorisant une intervention militaire, afin d'assurer la passation de pouvoir. Le professeur, Jean-Claude Marut, chercheur associé au laboratoire "Les Afriques dans le monde" du CNRS et de Sciences-Po Bordeaux, analyse la situation pour France 24.
Le président élu Adama Barrow doit être investi aujourd’hui à l’ambassade gambienne de Dakar, où il a été accueilli la semaine dernière. Quels sont les liens entre la Gambie et le Sénégal, avec lequel il partage son unique frontière ?
Cette investiture pose un double problème. Déjà parce qu’Adama Barrow ne prête pas serment dans son pays, et ensuite parce qu’il le fait à Dakar. Les relations sont compliquées entre les deux pays depuis longtemps, et ce même avant l’arrivée au pouvoir de Yahya Jammeh [il y a 22 ans, NDLR]. L’un des objectifs de Dakar est de faire disparaître, à terme, l’enclave gambienne. Ils l’avaient déjà tenté en 1981, avec la confédération de Sénégambie qui a duré jusqu’à 1989. Elle a laissé de mauvais souvenirs à Banjul, notamment à cause du comportement des militaires sénégalais. Cette volonté hégémonique est mal ressentie et a renforcé le nationalisme gambien.
Le fait que le Sénégal ait pris Adama Barrow en charge est donc très mal perçu par une partie de la population gambienne, car la méfiance subsiste, y compris chez les jeunes. Dakar et les responsables de la Cédéao semblent ne pas en avoir réellement conscience. Les Sénégalais ont tout intérêt à travailler avec le nouveau pouvoir gambien pour resserrer les liens et aller dans le sens d’une unification ou d’une nouvelle confédération.
En cas d’intervention des forces de la Cédéao, menées par le Sénégal, à quoi doit-on s’attendre ?
Il suffit de regarder la carte. La Gambie est un territoire très étroit, large de quelques dizaines de kilomètres et long de 320 kilomètres. Il est très facile pour une armée de bombarder ou d’atteindre n’importe quel point de son territoire, qui est très vulnérable tant par voie terrestre qu’aérienne ou même navale. Il faut aussi prendre en compte la situation de Banjul, qui est à l’extrémité d’une presqu’île aisément isolable. Si Yahya Jammeh est toujours dans son palais, il ne devrait pas être très difficile de le bombarder. Les informations sur l’évacuation de l’hôpital à proximité du palais laissent d’ailleurs imaginer cette possibilité.
Il y a aussi une autre question centrale : l’armée gambienne, estimée à environ 5 000 hommes, soutient-elle Jammeh ? Ousman Badjie, le chef d’état-major de l’armée gambienne, aurait dit cette nuit qu’il a demandé à ses hommes de ne pas se défendre. Si l’information est avérée, elle met en cause l’intérêt d’une intervention militaire. Mais à supposer que l’armée gambienne résiste, on peut penser que la faction de maquisards de Salif Sadio, une branche de la rébellion en Casamance (la région sénégalaise au sud de la Gambie), que Yahya Jammeh soutient depuis les années 2000, pourra venir le défendre. Ils disposent de quelques centaines de combattants.
Alors que les alliés de Yahya Jammeh se raréfient, que ses ministres démissionnent les uns après les autres, et que les doutes subsistent quant au soutien de son armée, tout semble être contre lui. Pourquoi s’accroche-t-il au pouvoir ?
Contrairement à ce qu’on peut entendre ici et là, Yahya Jammeh n’est pas fou. Quel que soit son côté brutal et sanguinaire, il a tenté de fines manœuvres pour rester au pouvoir, notamment avec son recours à la Cour suprême, même s’il a échoué. Pourtant, ses solutions politiques n’ont pas marché, les tentatives diplomatiques du Maroc et de la Mauritanie non plus. La médiation marocaine était pourtant une bonne carte. C’était sa meilleure occasion de s’en sortir honorablement, mais il ne l’a pas saisie. Il craint peut-être un procès comparable à celui d’Hissène Habré [ancien président tchadien, NDLR]. Mais, après plusieurs discours contradictoires, Adama Barrow lui a garanti oralement qu’il ne serait pas inquiété et pourrait continuer à vivre en Gambie. Des responsables de son régime, qui redoutent eux aussi des sanctions, font donc sans doute pression sur lui et le poussent à tenir coûte que coûte. À l’heure actuelle, la seule chose qu’on puisse imaginer est un dernier baroud d’honneur.