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Brésil : les gangs de la cocaïne règlent leurs comptes dans les prisons brésiliennes

Fruit d’une guerre sans merci entre gangs de narcotrafiquants, les violences carcérales, qui ont fait une centaine de morts au Brésil au début du mois de janvier, inquiètent et menacent de déborder des prisons.

Décapités, éviscérés, voire démembrés. La guerre fait rage entre gangs de narcotrafiquants incarcérés au Brésil, où la semaine dernière, une centaine de détenus ont été sauvagement assassinés dans des prisons du nord du pays.

Signe de la gravité de la situation et de l’inquiétude grandissante des autorités de voir le conflit déborder des prisons, le gouvernement brésilien a déployé 200 hommes de la Force nationale, mardi 10 janvier, pour renforcer la sécurité dans les États d'Amazonie et de Roraima (Nord). Le journal O Globo avait en effet rapporté, quelques jours auparavant, que les services de renseignement brésiliens avaient alerté le ministère de la Justice sur la possibilité de nouveaux règlements de comptes entre factions mafieuses dans les jours à venir.

De son côté, le président brésilien, Michel Temer, brocardé pour avoir qualifié le massacre de Manaus d'"accident effroyable", a annoncé, sans donner plus de détails, un nouveau plan de sécurité prévoyant la création d’une trentaine de nouvelles prisons, ainsi qu'une modernisation du système carcéral doté d'un budget de 1,8 milliard de réais (environ 500 millions d´euros).

Mais selon l'enquête en cours, au-delà des problèmes de surpopulation carcérale – le taux d'occupation des prisons brésiliennes est de 167 % –, c’est la rupture d’un pacte tacite de non-agression entre factions du crime organisé qui est à l’origine de cette vague de règlement de comptes meurtriers en milieu pénitentiaire. En l’occurrence entre le puissant Premier Comando de la Capitale (PCC), fondé à Sao Paulo, et le Comando Vermelho (CV) de Rio de Janeiro, l'autre grande faction mafieuse du pays.

Rupture d’une trêve tacite

C’est l’assassinat, en juin, du baron de la drogue Jorge Rafaat Toumani, liquidé à la mitrailleuse lourde dans un parking à la frontière paraguayenne, qui a mis le feu aux poudres. Selon les enquêteurs, le crime a été attribué au PCC, qui cherche à étendre son emprise sur le nord du pays, stratégique pour le contrôle des frontières avec la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Et le marché est lucratif puisque le Brésil est le deuxième consommateur de cocaïne et de ses dérivés, en particulier le crack, après les États-Unis.

La rupture du pacte de non-agression entre le PCC et le CV a redistribué les cartes dans le milieu, et les gangs de narcotrafiquants de second plan ont dû choisir leur camp au niveau local. C´est le cas de la Familia do Norte (FDN), alliée du CV, qui, comme son nom l´indique, exerce son influence dans la région septentrionale du pays.

Résultat : 56 membres présumés du PCC ont été brutalement massacrés dans la nuit du 1er au 2 janvier dans la principale prison de Manaus, la capitale de l´Amazonie. "Le Comando Vermelho empruntait les routes du sud (par le Paraguay) et a dû trouver des solutions au nord. Il s´est donc allié à la FDN pour créer une route alternative à celle du PCC qui veut dominer tout le marché brésilien", explique à l'AFP le procureur Marcio Sergio Christino, spécialiste du crime organisé.

Une enquête du ministère public fédéral (MPF) évoquait la possibilité de "liens étroits" de la FDN, faction considérée responsable du carnage, avec les Farc colombiennes, bien que cela "n'ait pas été corroboré lors de l'instruction".

PCC versus CV

Fondé à Sao Paulo, initialement pour revendiquer de meilleures conditions de détention après le célèbre massacre de Carandiru, qui a fait 111 morts après l'intervention de la police dans une prison en 1992, le PCC compte aujourd'hui plus de 20 000 membres.

En plus du trafic de drogue, l'organisation dirigée par Marcos Willians Herbas Camacho, alias "Marcola" incarcéré en 1999, est soupçonnée d’avoir investi aussi dans le transport public, des petits clubs de football et même une raffinerie de pétrole clandestine.

Son grand rival, le Comando Vermelho, est né à Rio dans les années 1970, d'une alliance entre prisonniers politiques communistes opposés à la dictature et détenus venus des favelas. Après s'être spécialisé dans les braquages et les enlèvements, le CV s'est affirmé comme l'acteur majeur du trafic de drogue, surfant sur le boom de la consommation de cocaïne.

Une domination altérée par l'émergence du nouveau concurrent pauliste. Selon Alexander Araujo, procureur de Rio, le CV est moins organisé que le PCC, n'a pas de vocation hégémonique et voit son rival empiéter sur son propre territoire.

Avant même l'assassinat de Jorge Rafaat, les relations entre les deux organisations ont commencé à se dégrader quand le PCC s'est allié à des factions dissidentes du CV à Rio. Le PCC cherchait ainsi à étendre sa sphère d'influence jusqu'à l'emblématique favela carioca de la Rocinha, la plus grande d'Amérique latine.

Plaque tournante du trafic mondial

La lutte entre ces rivaux ne concerne pas uniquement la suprématie nationale. Un autre enjeu, encore plus important, est à l’origine de cette guerre des gangs. Avec 17 000 kilomètres de frontières, très poreuses par endroit car situées en pleine jungle amazonienne, le Brésil est en effet devenu une plaque tournante du trafic de drogue mondial.

"Le PCC a réussi à devenir le premier cartel brésilien de trafic international", observe le procureur Marcio Sergio Christino. Ce dernier évoque même un phénomène de "Narcosur", terme inspiré du Mercosur, marché commun des pays d'Amérique du Sud.
Depuis ses frontières avec la Colombie, la Bolivie et le Pérou, les trois plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, le Brésil se trouve au carrefour du transport par cargos vers le marché européen.

La drogue traverse le pays par voie terrestre et part vers le Vieux Continent à bord de navires transatlantiques, le plus souvent après avoir fait escale en Afrique. Une position stratégique qui pousse des organisations comme le PCC à se rapprocher des parrains colombiens, selon une enquête des autorités brésiliennes.

Avec AFP