Tandis que Lisa Azuelos raconte la vie de Dalida dans un biopic au cinéma le 11 janvier, le frère de la chanteuse Orlando a ouvert son album photos plein de souvenirs à Mashable FR.
Il serait peut-être temps de l’avouer. On a tous un jour chanté à tue-tête, en fin de soirée, les paroles de "Mourir sur scène" ou "Gigi l’amoroso". Pourtant on n’a jamais cherché à comprendre de quoi Dalida parlait.
En fait, la première est le testament mélancolique d’une femme qui n’a vécu que pour sa carrière, et la deuxième évoque son amour pour Luigi Tenco, aussi intense et tragique que "Roméo et Juliette".
Voilà, entre mille autres choses, ce qu’on apprend dans ce biopic de Lisa Azuelos, au cinéma le 11 janvier 2017. Sveva Alviti, actrice italienne d’une trentaine d’années choisie pour incarner Yolanda Giglioti alias Dalida, y est magnétique et captivante aux côtés de Jean-Paul Rouve ou Nicolas Duvauchelle.
Et comme tout projet – ou presque – autour de la chanteuse, celui-ci ne s’est pas fait sans le concours d’Orlando, son frère. "On s’est vus plusieurs fois avec Lisa Azuelos, je lui ai expliqué qui était Dalida, son ADN, sa colonne vertébrale, les chiffres, les dates, son rapport avec les hommes et avec son public, etc. Et puis je lui ai fait confiance", explique Orlando à Mashable FR.
Et comme pour Lisa Azuelos, le producteur de 80 ans a accepté de nous ouvrir son album photos et de nous raconter la vie de sa sœur "qui n’a pas été un long fleuve tranquille".
Eddy Barclay, Lucien Morrise et Bruno Coquatrix
"Ça, c’est le commencement de tout, sur la scène de l’Olympia. D’ailleurs, toutes les plus grandes étapes de sa vie et de sa carrière se sont ensuite déroulées là. C’est une photo extraordinaire et construite pour montrer les trois hommes qui ont découvert Dalida, le 9 avril 1956, dans le concours 'Numéro un de demain' organisé par Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, et Lucien Morisse d’Europe 1. Eddy Barclay, lui, était un jeune producteur à la recherche d’une star. Alors le premier lui a ouvert son music-hall, le deuxième sa radio, et le troisième sa maison de disques."
Eddy Barclay
"Ici Dalida est à Cannes avec Eddy Barclay, son éditeur. Il a lancé Dalida, mais Dalida a lancé sa maison de disques parce qu’à l’époque personne ne le connaissait. Et ce sont les royalties des chansons de Dalida qui lui ont permis d’acheter les Aznavour et Brel par la suite !
"Eddy Barclay était un seigneur, il avait beaucoup d'humour"
Il lui est toujours resté fidèle, et Dalida lui en était très reconnaissante. Elle est restée 14 ans auprès de lui avant qu’on ne fonde notre maison. Eddy Barclay était un seigneur, il avait beaucoup d’humour. Et lorsqu’on est partis (pour monter un label indépendant, en 1970, NDLR), il n’avait pas le choix : Dalida était à la fin de son contrat, elle ne lui faisait aucune infidélité, elle ne l’a pas mis en concurrence. Je me souviens qu’il l’a pris avec le sourire. Il nous a envoyé les papiers à signer dans la journée et le soir il nous a invités à dîner."
Lucien Morisse
"Lucien Morisse, c’était un être formidable. Un des hommes que Dalida a vraiment aimé. Elle l’a aimé comme un père, comme un protecteur. Elle lui doit tout, elle l’a toujours dit. Ils se sont aimés pendant cinq ans. Mais quand ils ont décidé de se marier, elle n’avait plus envie. Elle a accepté par reconnaissance mais l’amour était déjà passé.
Ils ont divorcé peu de temps après, en 1962. Lucien lui en a voulu, il a d’abord essayé de lui faire la guerre et ça se comprend. Mais ensuite ils sont devenus les meilleurs amis du monde et ne se sont plus jamais quittés. Dalida, plus tard, a regretté, elle m’a dit : ‘j’aurais dû vieillir avec Lucien’."
Orlando et Dalida
"J’ai toujours été fanatique de Dalida, c’était notre star avant qu’elle ne le devienne vraiment. Tous les deux, on a toujours été mordus par ce métier. Mais Dalida a été la première, la pionnière, qui a eu le courage de partir à Paris en 1954 pour suivre un producteur français et tenter sa chance. Avec ma cousine Rosie – qui est devenue la secrétaire et la confidente de Dalida –, on l’a suivie six ans plus tard, lorsqu’elle était déjà installée. Elle avait toujours promis à sa mère : ‘Maman quand je réussirai, j’achèterai une maison pour que vous puissiez venir’.
"On a eu une complicité extraordinaire"
Moi, comme tous les Italiens, j’avais de la voix alors j’ai fait mon petit bout de chemin comme chanteur au Caire, puis j’ai continué en France pendant quatre ou cinq ans. Et au moment où j’ai arrêté de chanter, ça faisait déjà cinq ans que Dalida s’était séparée de Lucien qui s’occupait d’elle auparavant. Elle avait dû tout gérer toute seule, elle était fatiguée. Elle avait besoin de quelqu’un auprès d’elle. Et j’ai laissé mon métier de chanteur pour celui de producteur sans aucun regret. Ma vraie vocation, c’était de mettre les autres sous la lumière.
On a eu une complicité extraordinaire. Dalida ne faisait pas confiance à beaucoup de gens, mais elle m’a fait confiance à moi. J’étais son miroir. Quand ça n’allait pas, je lui disais la vérité. Alors parfois on s’attrapait parce qu’on avait quand même un sacré caractère, mais on a formé une superbe équipe. J’ai eu la chance de partager sa vie, alors quand on me dit que j’ai vécu dans l’ombre de Dalida, je dis que pour une ombre, c’est plutôt un coup de soleil !"
Jean Sobieski
"C’est à cause de Jean Sobieski que Dalida a quitté Lucien Morisse. Ils ont vécu un coup de foudre. Dalida était arrivée en France avec l’idée de réussir comme elle l’avait toujours dit depuis son plus jeune âge. Elle avait travaillé, travaillé… Mais quand elle a rencontré Jean Sobieski à Cannes en 1961, tout à coup, la jeune fille s’est réveillée. Elle a vécu une passion qu’elle n’avait pas connue jusqu’alors.
Elle a vécu deux ans, heureuse avec lui. C’était un très brave garçon, quelqu’un de bien, d’honnête et de beau. Mais puisque son métier passait avant tout, Dalida a fini par reprendre les rênes de sa carrière et de sa vie, et s’est séparée de lui."
Luigi Tenco
"En Italie, ils sont devenus les Roméo et Juliette du XXe siècle"
"Ah, le beau et ténébreux Luigi au destin tragique. En Italie, ils sont devenus les Roméo et Juliette du XXe siècle, parce qu’ils ne se sont aimés que six mois passionnément. Et ça c’est terminé tragiquement. Leur amour a été très fort, parce que le temps n’a pas eu le temps de porter ses premières rides. Tout était beau et magnifique, ils avaient même prévu de se marier au mois d’avril 1967.
Luigi Tenco était un auteur-compositeur en avance sur son temps avec beaucoup de talent mais qui n’avait pas un grand succès à l’époque. Sur cette photo, ils sont à la veille de la soirée du festival de San Remo, en janvier 1967. Par amour, Dalida est allée défendre sa composition à ce festival, mais sa chanson n’a pas été retenue.
Il faut dire que pour prendre du courage avant de monter sur scène, Luigi avait un peu bu et avait pris quelques tranquillisants, alors il n’avait pas très bien chanté. Luigi ne l’a pas supporté. Et il s’est tué. C’est Dalida qui l’a découvert.
"Après San Remo, Dalida n'a plus jamais été la même"
Un mois plus tard, en février 1967, par désespoir, elle a tenté à son tour de mettre fin à ses jours et a passé cinq jours dans le coma. À partir de là, elle n’a plus jamais été la même Dalida. Il y a eu un avant San Remo et un après San Remo. Dalida est partie en quête de son identité. Elle avait besoin d’une autre nourriture : la nourriture spirituelle et philosophique, elle qui n’avait pas fait d’études.
Pendant ce qu’elle appelait ses "quatre années d’hiver" (de 1967 à 1971, NDLR), elle a lu tous les grands philosophes, et ça faisait d’ailleurs sourire les médias à l’époque. Elle a aussi fait une retraite dans un ashram pour savoir notamment si elle devait continuer sa carrière. Et un sage en Inde l’a convaincue que sa mission était de chanter et d’apaiser le monde avec sa voix."
Filomena d'Alba, la maman
"Il existe très peu de photos de Dalida avec ma maman. Ça c’est une photo d’un mois d’août en Italie, Dalida était en tournée et elle avait voulu qu’on passe des vacances pas trop loin pour qu’elle puisse venir nous voir entre deux concerts.
"Maman était fière mais avec discrétion, elle n’était pas envahissante"
Elle était extrêmement fière de Dalida, on l’était tous, mon frère aîné, Rosie, moi… On n’arrivait même plus à compter ses tubes. On a assisté à son ascension comme tout le monde, et on a vu ça de plus près lorsqu’on est venus en France. Maman est venue avant nous à Paris, pour la première fois en septembre 1957, parce que Dalida l’avait invitée lorsqu’elle était la "vedette américaine" de Gilbert Bécaud à l’Olympia.
Dalida et nous tous, on vouait à notre mère une passion comme c’est pas permis. Beaucoup de mères se font photographier, parlent et interviennent dans la vie des artistes… Mais elle n’est jamais intervenue.
Elle a vécu les dernières années au-dessus de sa fille, au dernier étage de sa maison de Montmartre à Paris. Et elle téléphonait à sa fille, en bas, pour pouvoir descendre. Dalida la grondait et lui disait : ‘Mais Maman tu viens quand tu veux’. Maman était fière mais avec discrétion, elle n’était pas envahissante."
Richard Chanfray, le "comte de Saint Germain"
"Richard le fou, l’écorché vif. Mais c’est celui qui est resté le plus longtemps dans la vie de ma sœur, de 1972 à 1981. Dalida a aimé des hommes totalement différents les uns des autres, physiquement, psychologiquement et socialement. Il n’y en n’a pas un qui ressemble à l’autre. Tous tombaient amoureux de Dalida et le lendemain ils se retrouvaient avec Yolanda, qui avait besoin d’être épaulée et protégée.
"Richard n'était pas plus comte que vous et moi. Il aimait la provocation, mais il n'était pas méchant"
Celui-là, il ne s’est jamais vraiment accepté, la preuve : il avait changé de nom et se faisait appeler le comte de Saint Germain alors qu’il n’était pas plus comte que vous et moi. Même si tout le monde avait peur – moi le premier – qu’il puisse être mauvais pour sa carrière parce qu’il était un peu fou, Dalida était heureuse avec lui. Il aimait la provocation, mais il n’était pas méchant. Elle s’est sentie femme à ses côtés, c’est celui qui s’est le plus occupé de la femme, et pas de la chanteuse.
Elle voulait le sauver de ses folies mais malheureusement au bout de neuf ans, elle a compris qu’elle n’y arriverait pas. Et puis il était devenu un peu jaloux du succès de Dalida à la fin de sa vie, et même un peu dangereux. Après leur séparation, elle m’a dit tristement : ‘J’ai 48 ans, j’ai perdu neuf ans de ma vie’."
Dalida, reine du disco
"Il y a eu la Dalida bambino, puis la Dalida chansons à texte, et ça c’est la troisième Dalida : la Dalida disco. Je suis très fier de lui avoir fait chanter le premier disco en France. À partir de là, tout s’est enchaîné : d’autres tubes, un show à l’américaine et son passage au Carnegie Hall en novembre 1978 où elle a tapé dans l’œil du chorégraphe de Saturday Night Fever, Lester Wilson, qui a eu envie de la faire danser.
Puis avec son spectacle produit par Jackie Lombard en janvier 1980, Dalida a été la première femme à se produire au Palais des Sports de Paris pendant trois semaines. Tous les couturiers se sont battus pour l’habiller, et on retiendra surtout les robes transparentes et fendues de Loris Azzaro.
"Il y a eu la Dalida bambino, la Dalida chansons à texte et puis la Dalida disco"
C’était la Dalida folie, mais elle a toujours gardé dans son spectacle une partie où elle redevenait chanteuse, avec des chansons à texte comme "Il venait d’avoir 18 ans". Elle n’a jamais renié ses premiers succès et elle gardait aussi son côté mélancolique.
D’ailleurs à la fin de sa vie (avant son suicide le 3 mai 1987, NDLR), toutes ses dernières chansons comme "Mourir sur scène" ou "À ma manière" étaient autobiographiques. Ses auteurs, qui étaient aussi ses amis, buvaient comme du papier buvard toutes ses paroles lors de dîners et ils s’inspiraient des phrases et des messages qu’elle leur faisait passer.
Avec son film, Lisa Azuelos a réussi à survoler une vie si riche du début à la fin. Quand je l'ai vu, il m'a fallu deux ou trois jours pour digérer, et pour me dire : ‘Mon dieu, c’est cette vie qu’elle a eu, que j’ai partagée’. J’ai demandé à revoir le film, j’ai fait abstraction du frère, du producteur, du manager et je me suis installé comme un simple spectateur. Et là j’ai vu que le film était une réussite totale."
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