
Le cas du soldat Elor Azaria, reconnu coupable d'homicide pour avoir achevé un Palestinien blessé, a mis en lumière de profondes lignes de fracture dans l'opinion israélienne, mais aussi dans la classe politique.
Jamais une affaire judiciaire n’avait tant divisé Israël. Depuis l’annonce de la condamnation du soldat israélien Elor Azaria par un tribunal militaire, reconnu coupable de l'homicide d'un Palestinien mercredi 4 janvier, ceux qui plaident pour le strict respect par l'armée de valeurs éthiques se réjouissent.
Mais ce sont surtout les dizaines de jeunes soutiens du soldat de 20 ans qui se font entendre en manifestant devant le QG de l'armée à Tel Aviv, à l'endroit même où la cour statuait. Ils dénoncent le manque de soutien de Tsahal envers un de ses soldats. "Le peuple d'Israël n'abandonne pas l'un de ses soldats sur le champ de bataille", proclamait une pancarte.
"On l'envoie nous sauver, il nous sauve. Quelqu'un arrive, il attaque un soldat et il (Elor Azaria) lui tire dessus. Et on l'envoie en prison", s'est indigné Moshe Grin, 19 ans, manifestant à Tel Aviv.
Mais c'est sans nul doute la réaction du Premier ministre Benjamin Netanyahou quatre heures après l’annonce de la condamnation, qui marque le plus les esprits. "Nous avons une armée qui est la base de notre existence, a-t-il déclaré. Les soldats de Tsahal sont nos fils et nos filles, et doivent être placés au-dessus de tout différend ". En revanche, pas un mot sur la décision de justice de la cour militaire. Mais une annonce choc :"Je suis favorable à ce qu'Elor Azaria soit gracié", a écrit le chef du gouvernement sur sa page Facebook.
"Netanyahou a sali les valeurs morales de Tsahal"
Sa déclaration a été largement commentée par la presse israélienne. Pour le quotidien Haaretz, Benjamin Netanyahou "n’a pas soutenu ni les juges ni le verdict". "Le Premier ministre a sali le chef des armées, le système judiciaire militaire et les valeurs morales de Tsahal", souligne le journaliste Barak Ravid.
Le Premier ministre n’est pas le seul politicien à avoir épousé la cause du soldat Elor Azaria. "Aujourd’hui, un soldat qui a tué un terroriste qui méritait de mourir, a été condamné comme un criminel", s'est indigné le ministre de l’Éducation et ministre de la Diaspora Naftali Bennett, qui dirige le parti politique nationaliste Le Foyer juif. Également fervente supporter du soldat, la ministre de la Culture et des Sports Miri Regev a dénoncé le verdict "qui pourrait affecter la motivation des jeunes à servir au combat par peur d’être abandonnés". Ce procès n'aurait jamais dû avoir lieu", a-t-elle déclaré en ajoutant, "Elor Azaria est notre fils, notre enfant".
67 % des Israéliens en faveur d'une grâce
Ces prises de position de la classe politique ont pour effet de diviser le pays, où l'armée est à la fois une institution incontournable et un facteur d'unité. Elles risquent aussi d’exacerber les tensions dans l’opinion. Un sondage mené par l'institut iPanels, publié après l'annonce de la condamnation, indique que 67 % des Israéliens sont en faveur d'une grâce pour Azaria, contre 19 % qui y sont opposés.
Sur le terrain, la tension reste très tendue. La police israélienne a arrêté deux personnes qui ont proféré des menaces sur Internet à l’encontre d’un des juges en charge de l’affaire, Maya Heller. Les trois magistrats ont été placés sous la protection de gardes du corps. Selon Haaretz, le chef d'état major des armées de Tsahal, Gadi Eisenkot, a également fait l’objet de menaces.
Le colonel Maya Heller, l'une des juges, a affirmé que le soldat n'avait aucune raison de tirer alors que le Palestinien ne représentait aucune menace. "Son mobile était qu'il pensait que le terroriste méritait de mourir", a dit la juge.
"La cour n’avait pas d’autre choix que de sanctionner sévèrement ce soldat"
La décision de la cour militaire de ne pas défendre la position d’un de ses soldats, qui plus est sur une action de terrain, n’est pas courante en Israël et même ailleurs dans le monde. Mais pour un pays qui se définit comme ayant “l’armée la plus éthique au monde”, la cour n’avait pas d’autre choix que de sanctionner sévèrement ce soldat", estime pour sa part Amichai Cohen, un chercheur à l’Institut indépendant think tank de démocratie israélienne. "Si vous voulez que le système judiciaire soit pris au sérieux, vous devez punir ce genre d’acte”, ajoute-t-il.
Selon la loi, seul le président peut offrir une grâce à un détenu. Le président israélien Reuven Rivlin a réagi prudemment à l'annonce du Premier ministre, en affirmant que toute discussion à ce sujet était prématurée. Dans un communiqué, il a indiqué que la demande ne pouvait être faite que par le soldat, par son avocat ou par sa famille proche, et seulement une fois le processus judiciaire terminé. "Dans le cas où une demande de grâce sera présentée, elle sera examinée par le président conformément aux normes et aux recommandations des autorités compétentes", a-t-il précisé.
La peine devrait être prononcée le 15 janvier. Elor Azaria risque 20 ans de prison.