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Trump et ses affaires : la conférence de presse qui n'aura pas lieu

Le président élu, qui devait s’expliquer sur l’avenir de son empire financier immobilier pour éviter tout conflit d'intérêt, a reporté la conférence de presse prévue le 14 décembre. Un ajournement inquiétant, aux yeux de la presse américaine.

Cela devait être la première conférence de presse de Donald Trump depuis son élection le 8 novembre. Il l’avait annoncée, le 30 novembre sur son compte Twitter. Ce rendez-vous "majeur" – selon ses propres termes – devait se tenir à New York avec ses enfants pour évoquer son "départ de son empire financier". Mais trois jours avant ce rendez-vous tant attendu, il a finalement décidé de faire faux-bond à la presse. Bloomberg a annoncé son report, lundi 12 décembre. "Il fera une déclaration le mois prochain avant son intronisation [prévue le 20 janvier 2017]", s'est contenté d'expliquer son porte-parole.

I will be holding a major news conference in New York City with my children on December 15 to discuss the fact that I will be leaving my ...

— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 30 novembre 2016

Autant dire que les journalistes, bien qu’habitués au style imprévisible et érratique du personnage, ont été pris "par surprise". Les médias américains, et notamment CNN, ont annoncé l’information par une "breaking news". Jamais un président élu n’avait jusqu’à présent dérogé à l’exercice de la conférence de presse. Surtout que sa dernière  remonte au 27 juillet, quand le milliardaire new-yorkais avait encouragé la Russie à pirater les emails d'Hillary Clinton, sa concurrente démocrate durant la campagne.

Pointé du doigt pour d’éventuels conflits d’intérêt, le 45e président des États-Unis devait s’expliquer sur l’avenir de son empire financier immobilier, une nébuleuse internationale qu'il dirigeait seul ou presque jusqu'ici. La Trump Organization, société non cotée en bourse dont le chiffre d’affaires – jamais communiqué – aurait avoisiné les 9,5 milliards de dollars en 2014, dispose de ramifications dans 20 pays, de l'Écosse à Dubaï via les Philippines, de l'hôtellerie au mannequinat en passant par clubs de golf et gratte-ciel résidentiels.

"Que cache-t-il ?"

Alors les journalistes s‘interrogent : "Que cache-t-il ? Pourquoi ne souhaite-t-il pas répondre aux questions des journalistes ?", s'interroge le consultant média de CNN, Brian Stelter. Officiellement, aucune raison majeure n’a été invoquée si ce n’est un emploi du temps trop chargé : Donald Trump doit composer son administration et nommer les dirigeants des grandes agences. Selon le porte-parole du président élu, ce retard est aussi dû aux complexités de la procédure juridique pour que les avocats retirent son nom de sa propre société. "Ce n’est pas chose facile", a indiqué un officiel de l’équipe Trump.

Sur MSNBC, l'une des chaînes les plus à gauche du câble américain, on préfère ironiser sur ce président si "occupé" qu’il annule sa conférence, mais qui prend quand même le temps de s’afficher avec Kanye West à la Trump Tower de New York.

Calendrier politique

Reporter la conférence de presse au mois de janvier s'explique surtout, comme le soulignent nombre de médias américains, par l'agenda politique : elle se tiendra après le vote des grands électeurs, prévu le 19 décembre dans chacun des États fédérés pour formellement élire le candidat à la présidence. Donald Trump craint-il que certains grands électeurs ne votent plus pour lui en raison de ce conflit d’intérêt ? "54 % des électeurs ne voulaient pas de Donald Trump", a plaidé le réalisateur Michael Moore sur NBC. "Il est possible, tout juste possible, que dans les six prochaines semaines, il se passe quelque chose, quelque chose de fou, auquel on ne s'attend pas", ajoute-t-il.

Selon le Time, Donald Trump doit aussi faire face à "une certaine pression" concernant le dossier russe. Moscou est accusée par la CIA d’ingérence dans la campagne présidentielle alors que le président républicain affiche ostensiblement sa proximité avec Vladimir Poutine. Il vient de nommer le très pro-russe Rex Tillerson, ancien PDG D’Exxon, au poste de secrétaire d’État.

"Mépris de la transparence"

Quoiqu’il en soit, les détracteurs du milliardaire y ont surtout vu une façon d’esquiver le passage au crible des journalistes. "Le manque de considération de Trump envers les normes démocratiques et son mépris de la transparence sont flagrants", a tweeté John Cassidy, journaliste au New Yorker.

EC vote is next Monday. Trump is blatant in his disrespect for democratic norms and his contempt for transparency. Worked for him so far. https://t.co/W3NJ8bmImO

— John Cassidy (@JohnCassidy) 12 décembre 2016

Pour preuve, après avoir annulé la conférence de presse, Donald Trump a exposé les modalités de son retrait "total" de la gestion de ses affaires via les réseaux sociaux. Sur Twitter, Donald Trump a précisé qu'il se retirerait de l'ensemble de ses activités pour se concentrer sur l'exercice de la présidence. "Même si la loi ne m'y oblige pas, je vais abandonner mes affaires avant le 20 janvier pour pouvoir me concentrer sur la présidence. Deux de mes enfants, Don et Eric, plus des cadres, les dirigeront. Aucun nouveau contrat ne sera passé durant mon (mes) mandat(s)", a tweeté lundi, tard dans la soirée, le futur président américain.

Plus de conférence de presse ?

Même en confiant les rênes de l'entreprise à ses fils et en s'abstenant de conclure de nouveaux contrats, les multiples conflits d'intérêt liés aux activités existantes persisteront, estime Robert Weissman, président de Public Citizen, une ONG qui prône la transparence en politique. "La seule façon de résoudre les conflits d'intérêt, c'est de vendre l'entreprise familiale" ou "de la confier à un gestionnaire de biens qui aurait pour première tâche de la vendre", dit-il. Des options que les derniers tweets de Trump semblent écarter.

Cette volte-face laisse aussi présager de ce qui attend les correspondants à la Maison Blanche ces prochaines années. Maggie Haberman, qui a suivi la campagne présidentielle pour le New York Times, n’exclut pas de voir le président en exercice "juste tweeter ses déclarations et donner de rares interviews". Et d’ajouter : "Il est très doué quand il s’agit de contrôler le flot d’informations. En revanche, c’est inquiétant pour la liberté de la presse".