Quel regard porte l'opposition sur la mort de Fidel Castro et la nouvelle ère qui s'ouvre à Cuba ? Éléments de réponse avec la journaliste indépendante et dissidente modérée Miriam Leiva, interrogée à La Havane par France 24.
Après la mort de Fidel Castro et les neuf jours de deuil qui ont suivi, la vie a repris son cours sur l'île. Les Cubains doivent faire face aux lourdes difficultés économiques alors que l'opposition grandissante continue d'appeler à des changements plus significatifs.
Journaliste indépendante, Miriam Leiva, 69 ans, a longtemps été proche du pouvoir en tant que diplomate de haut rang. Elle fut limogée en 1992 pour avoir refusé de désavouer son époux, le conseiller économique de Fidel Castro Oscar Espinosa Chepe, déclaré "contre-révolutionnaire" par le gouvernement dans les années 1990. Il est devenu, en 2003, prisonnier politique.
Cette année-là, Miriam Leiva a co-fondé le groupe d’opposition des Dames en Blanc, qui réclame la libération des prisonniers politiques. La dissidente modérée, qui a choisi en 2008 de se consacrer uniquement à l'écriture, fait partie du groupe d'opposants ayant rencontré Barack Obama lors de sa visite historique en mars 2016, à La Havane.
France 24 : Quelle image gardez-vous du Lider Maximo ?
Miriam Leiva : Fidel Castro représentait le politicien le plus aimé de Cuba aux premières heures de la révolution. Mais sa soif perpétuelle de pouvoir a plongé l'île dans le chaos tant au niveau politique, qu’économique et social. Il a divisé les familles cubaines, provoqué l’exil pour des milliers de personnes et détruit l’économie avec ses plans indigestes et inefficaces. Avec lui, tout est aussi devenu illégal à Cuba.
Dans son testament, Fidel Castro a émis le souhait qu’aucun bâtiment ou lieu public ne porte son nom. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
[Le président cubain] Raul Castro a déclaré que Fidel refusait le culte de la personnalité, mais il est déjà tellement ancré dans la société ! Le gouvernement ne construira pas de place à son nom, mais Fidel est déjà partout ! C’est horrible. À la télévision, les commentateurs le comparent – depuis toujours – au héros de l’indépendance cubaine Jose Marti ; certains vont jusqu’à le baptiser le "père de la patrie". Ces termes ne sont pas employés ouvertement par le gouvernement ou le Parti [communiste], mais ils les répandent ici et là et incitent les gens à le répéter. Ils sont en train de remplacer Carlos Manuel de Céspedes, qui est le vrai père historique de la nation cubaine !
Le culte de la personnalité a toujours existé à Cuba, mais il sera encore plus présent maintenant. Cela permettra notamment de justifier les mesures que Raul Castro et le gouvernement vont mettre en place dans le futur.
Comment les dissidents politiques ont vécu les derniers évènements de l’île, à savoir la phase de rapprochement diplomatique entre Washington et La Havane, ainsi que la mort de Fidel Castro ?
J’ai toujours soutenu la levée de l’embargo économique et plaidé en faveur de l’ouverture. Surtout que pour justifier tous ses échecs, le gouvernement cubain n'a cessé de pointer du doigt le blocus et d'invoquer la menace de "l’impérialisme yankee".
Les mesures d’Obama [normaliser les relations entre les deux pays, autoriser les Cubains à envoyer jusqu’à 2 000 dollars par trimestre à leur famille, NDLR] ont permis de rapprocher davantage les Cubains de l'île et ceux qui vivent aux États-Unis. Le président américain a également demandé à Raul Castro de mettre un terme à la répression de l'opposition et d’ouvrir de nouveaux espaces de dialogue. Il l’a exprimé publiquement lors de la conférence de presse avec Raul, en mars 2016 à La Havane, et l'a répété quand il nous a rencontrés en personne.
Mais, depuis le début de l'année 2006, Raul Castro a commencé à mettre en place une autre forme de répression. Le régime utilise des détentions de courte durée, à savoir quelques heures ou quelques jours, alors qu'avant les incarcérations étaient plus longues. Donc les gens qui gouvernent restent les mêmes et le système aussi. Et aucun pays étranger ne peut changer la donne. Je crois que ni Obama ni aucun gouvernement ne peut complètement mettre un terme à la répression à Cuba. Ils peuvent aider à atténuer la répression mais seuls les Cubains peuvent faire bouger les lignes.
Comment aimeriez-vous voir Cuba dans les prochaines années ?
J’espère qu’un jour, tous les Cubains pourront participer à la vie politique, économique et social du pays. Qu’ils pourront être impliqués dans toutes les décisions.
Selon moi, le serment de Fidel inscrit à côté de sa tombe est un signe positif. "La révolution, c'est changer tout ce qui doit être changé", peut-on y lire. Il me semble que ces mots, qui sont inspirés d’un de ses discours prononcé en 2000, sont très importants, surtout que tous les Cubains invités à signer dans le livre d’or l'ont lu en passant juste à côté.
Les réformes économiques de Raul Castro ont été trop lentes et n'affichent aucun résultat positif pour le moment. Mais en avril dernier, il a dit devant le Congrès du Parti [communiste] que la plus grande barrière au changement était de se cramponner au passé et à des idées obsolètes.
Les mots de Fidel et les propos de Raul me donnent de l’espoir. Si les espoirs sont toujours vains ici à Cuba, l'idée est bien là. Alors peut-être que les choses vont changer.