À quelques jours d’un référendum crucial pour le président du Conseil italien Matteo Renzi, le site Buzzfeed accuse le principal partisan du "non", Beppe Grillo, leader du Mouvement 5 étoiles, d'être un agent de propagande russe.
À chaque élection ses "fake news" (informations fallacieuses) et sa propagande pro-Russe. Hier, c'était la présidentielle américaine qui avait été soupçonné d'être manipulée par Moscou. Cette fois-ci, c'est la campagne du référendum constitutionnel du 4 décembre [pour faciliter le travail de réforme du gouvernement] en Italie qui serait minée par une vague de fausses nouvelles "made in Russia" propagées sur Internet par une myriade de sites favorables au Mouvement 5 étoiles (M5S) de l’ex-comique Beppe Grillo.
"Le parti le plus populaire d’Italie entraîne l’Europe dans le monde des fausses nouvelles et de la propagande du Kremlin", affirme en titre le site américain Buzzfeed, le 30 novembre. Le même média avait déjà été à l’origine, dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle américaine, du débat autour du rôle de Facebook dans la propagation de rumeurs créées par de faux sites pour déstabiliser la candidate démocrate Hillary Clinton.
Le "buzz" TzeTze
Cette fois-ci, Buzzfeed accuse le M5S – qui milite pour le "non" au référendum – d’utiliser un vaste réseau de sites frères et de relais sur Twitter et Facebook pour taper sur le président du Conseil italien Matteo Renzi (favorable au "oui") en utilisant des fausses informations relayées par des médias pro-Kremlin. Pour le site américain, l’Italie est devenu le "nouveau champ de bataille" où la Russie entend influencer le processus démocratique. L’issue du scrutin de dimanche est cruciale : Matteo Renzi a laissé entendre qu’il démissionnerait en cas de victoire du "non".
Pour les auteurs de l'enquête de Buzzfeed, deux spécialistes de l’analyse de données en ligne (l’un d’eux est l’ancien responsable de l’équipe de data journalistes du quotidien britannique The Guardian), la désinformation ne touche "pas seulement le blog et les comptes officiels sur les réseaux sociaux du parti [M5S] et ses cadres – qui ont des millions d’abonnés – mais aussi un grand nombre de sites qui se présentent comme des 'sources indépendantes d’informations' et qui sont en réalité contrôlés par les responsables du M5S".
À leurs yeux, l’exemple le plus flagrant de cette cyber-dérive serait TzeTze. Ce site, dont la page Facebook compte plus d’1,5 million d’abonnés, affirme être un agrégateur indépendant d’informations soumises par les internautes et vérifiées par l’équipe. Il n’en serait rien d’après Buzzfeed. TzeTze appartient à Davide Casaleggio, le fils de Gianroberto Casaleggio, l’un des cofondateurs du Mouvement 5 étoiles. Il gère le site à travers la société Casaleggio Associati, qui s’occupe aussi d’autres portails "d’information" mis en cause dans l’article, et partage ses informations avec le blog officiel de Beppe Grillo.
La vérification d’informations ne semble pas toujours être le fort de TzeTze. "Les États-Unis financent-ils le trafic de migrants vers l’Italie ?", feint ainsi de se demander cette publication en août 2015 reprenant à son compte une théorie du complot développé par le site Sputnik, réputé proche de la ligne officielle du Kremlin. L’article de TzeTze a été partagé plus de 12 000 fois sur Facebook. Une viralité qui rappelle la popularité sur Facebook des faux articles durant la campagne américaine.
"Accusations ridicules" pour Beppe Grillo
Sputnik et RT (Russia Today, la chaîne russe d’information en continu soupçonnée d’être la voix du Kremlin) font partie des sources les plus souvent citées sur la plupart des sites étudiés par les journalistes de Buzzfeed, y compris le blog officiel de Beppe Grillo. Ainsi une vidéo de RT montrant une marée humaine défilant, d’après le journaliste russe, en faveur du "non" au référendum a été vu plus de 1,5 million de fois grâce à de nombreuses reprises sur des sites proches du M5S. Problème : le rassemblement était, en réalité, pour soutenir le "oui" au référendum…
Les conclusions de Buzzfeed n’ont pas été du goût de Beppe Grillo. Sur son blog, le chef de file du principal parti d’opposition à Matteo Renzi a retourné l'accusation contre l'article du site américain, à qui il reproche à son tour de relayer des informations fallacieuses. "L’accusation de propagande pro-Kremlin est ridicule et la seule propagande en Italie est celle des médias traditionnels en faveur de Matteo Renzi et du parti démocrate", affirme Beppe Grillo qui demande à Buzzfeed de s’intéresser plutôt au déficit de liberté de presse.
Sans entrer dans le débat sur la pertinence des conclusions de Buzzfeed, le quotidien en ligne Il Post note que les positions du parti de Beppe Grillo ont récemment évolué sur la question russe. "Jusqu’à fin 2014, le M5S était surtout critique à l’égard de Moscou, essentiellement parce que Poutine était perçu comme un allié de Silvio Berlusconi", rappelle Il Post. L’ancien dirigeant italien est l’une des bêtes noires de Beppe Grillo. L’ex-comique devenu politicien dénonçait aussi la dérive autoritaire de la Russie et avait fait, en 2007, de la journaliste et critique de Vladimir Poutine, Anna Politovskaia, sa "personne de l’année". Le mouvement avait également qualifié l’entrée, en mars 2014, des forces russes en Ukraine d'"invasion".
Tout change fin 2014. Des représentants du M5S participent au congrès du parti de Vladimir Poutine, Notre Maison Russie, et des sites pro-Grillo, comme La Cosa ("La chose"), commencent à louer l’action du dirigeant russe. Le parti italien a aussi reconnu l’annexion de la Crimée et demandé à ce que les sanctions européennes contre la Russie soit abandonnées.
Impossible à dire si le maître du Kremlin joue au marionnettiste en coulisses pour essayer d’influencer la politique européenne. La thèse de Buzzfeed est, en tout cas, séduisante pour un public américain toujours friand d’histoires qui rappellent les méthodes de propagande soviétique. Une chose est néanmoins évidente : si le "non" l’emporte au référendum et que Matteo Renzi décide de démissionner, comme il l’a laissé entendre, un boulevard politique s’ouvre pour le M5S, ce qui serait une bonne nouvelle pour Vladimir Poutine.