à La Havane – Des milliers de Cubains se sont pressés place de la Révolution, à La Havane, lundi, pour rendre hommage à Fidel Castro. Des files d'attente interminables pour rendre un dernier hommage et prendre quelques photos. Reportage.
Si l'on vient place de la Révolution en taxi, la voiture vous dépose le long d'une grande avenue arborée. En cette matinée du lundi 28 novembre, à La Havane, la zone qui entoure l'immense place était bouclée. Au bord de la route, au pied d'un panneau proclamant "La Révolution est Invincible", une centaine de personnes âgées, des médailles accrochées sur la poitrine, attendaient auprès de quelques policiers. Lorsqu'on arrive, on ne voit pas l'ampleur de la file d'attente, mais en s'approchant, on découvre, au détour des arbres, une colonne interminable de personnes. Un accès était visiblement réservé aux dignitaires ou aux personnes autorisées car la police refoulait ceux qui essayaient de s'y infiltrer.
Dans la file d'attente, pas d'enfants, des groupes d'amis qui discutent, quelques touristes seulement. Lorsqu'on confie à un jeune homme silencieux que la presse internationale rapporte que les jeunes sont indifférents au décès de Fidel Castro, il répond timidement, "moi j'aime Fidel". Il paraît hésiter à parler de politique à des touristes étrangers. Quand on lui demande davantage d'explications, il répond en désignant sa tête de l'index. "Fidel est intelligent, c'est lui la tête pensante". Selon lui, malgré la passation de pouvoir avec son frère Raul, c'est Fidel Castro qui prenait les décisions. Avec son décès, estime-t-il, on ne sait pas comment le pays va être gouverné. Visiblement peu désireux de poursuivre la discussion, il s'écarte à une distance respectueuse.
La colonne avance à petit pas. Des personnes attendent, assises à l'ombre des arbres, d'autres circulent. Au bout de l'avenue, on aperçoit les tentes de la Croix-Rouge et le service d'ordre. Tout à coup, à un coin de rue, des voix scandent en cœur un slogan connu depuis des décennies, "El pueblo unido, jamas sera vencido" ("le peuple uni, ne sera jamais vaincu"). Une centaine de jeunes, portant un drapeau cubain géant, reprennent alors "Fidel, Fidel".
La place est silencieuse et paraît étrangement vide. Deux grandes files de personnes slaloment entre des barrières vers le mémorial, perché en hauteur. Sur l’un des bâtiments, une gigantesque photo en noir et blanc de Fidel Castro recouvre quasiment toute la façade. Malgré la solennité du lieu et du moment, des fonctionnaires en chemise blanche font honneur à l'esprit cubain de décontraction en se prélassant dans l'herbe à l'ombre de quelques arbres qui bordent la place.
Ému, un homme parle aux touristes devant lui. "Mon cas est particulier" dit-il. "J'ai 44 ans, je suis artiste et acteur. J'ai eu le cancer et j'ai pu être soigné gratuitement. Tout ça, ce n'est pas du théâtre, ce n'est pas de l'hypocrisie. C'est vraiment un grand homme."
À la porte du mémorial, des couronnes de fleurs. Des sous-officiers de l'armée entre aux côtés des citoyens. Une femme autorise les photos, mais le son des téléphones doit être coupé. À l'intérieur, des colonnades et des draperies. Des hommes, en uniforme blanc, sont au garde à vous avec des civils autour du portrait du défunt.
On défile devant la photo, deux panneaux avec des maximes révolutionnaires, des fleurs, et c'est fini. À la sortie, tous prennent quelques photos et des selfies, sans trop s'attarder.
Dans un taxi, trouvé à proximité du site, le chauffeur demande : "Vous êtes allés rendre hommage au commandant ? C'est bien. C'est un grand homme, un très grand homme." Et Raul ? Un geste hésitant – oui bien sûr, mais Fidel est très intelligent. Il est unique, unique au monde. En Amérique latine, tout le monde aime Fidel."
Dans le quartier touristique de La Vieille Havane, un jeune homme d'affaires arborant un tee-shirt "Florida", hausse les yeux au ciel, d'un air las. "Fidel est parti... enfin ! Les Cubains n'aiment pas Fidel", conclut-il, en mimant l’envol d’un oiseau.