logo

Que contient la proposition de loi transpartisane contre les violences sexistes et sexuelles
Réformes judiciaires, détection des violences dès la maternelle, lutte contre la cyberviolence… Une proposition de loi "intégrale" cosignée par 109 députés et élaborée sur la base de propositions du monde associatif a été présentée lundi en conférence de presse. Ce texte contient des mesures inédites. Tour d'horizon.
Manifestation contre les violences faites aux femmes, place de la République à Paris, le 22 novembre 2025. © Bertrand Guay, AFP

À la veille de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la députée socialiste Céline Thiébault-Martinez a présenté lundi 24 novembre une proposition de loi dite "intégrale" visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles commises à l'encontre des femmes et des enfants. Un texte ambitieux, cosigné par 109 députés issus de huit groupes politiques – à l'exception de l'extrême droite –, fruit de travaux transpartisans lancés depuis janvier.

Cette proposition de loi-cadre s'appuie sur les quelque 140 recommandations émises en octobre 2024 par une soixantaine d'associations féministes, dont la Fondation des femmes. À l'arrivée, les parlementaires ont retenu 78 propositions.

Relevant qu'il est peu probable qu'une proposition de loi de cette ampleur soit inscrite à l'ordre du jour, Céline Thiébault-Martinez espère toutefois que certains articles seront repris par le gouvernement ou par des groupes d'opposition lors de leurs niches parlementaires.

Le soir même, la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, a justement annoncé que son projet de loi-cadre contre les violences faites aux femmes était "prêt". Elle a indiqué avoir préparé un texte comprenant 53 mesures.

Des propositions dont elle a donné à la presse quelques exemples, sans entrer dans le détail. Contacté par France 24, son cabinet explique que ces travaux "ne sont pas publics à ce stade".

Pour Céline Thiébault-Martinez, même si la démarche d'Aurore Bergé est "plus tardive et moins aboutie, le but poursuivi est le même". La députée socialiste dit se réjouir de constater "une prise de conscience partagée à la fois par au moins une partie de l'exécutif et le pouvoir législatif" des violences sexuelles et sexistes.

"En tant que parlementaires, nous mettons notre texte à la disposition du gouvernement", explique-t-elle. "Il appartient à toutes celles et ceux qui auront envie de se mobiliser et de faire quelque chose contre les violences. Si demain, la ministre dépose un autre texte qui ressemble peu ou prou à celui que l'on a élaboré, évidemment qu'on travaillera son texte."

France 24 propose un tour d'horizon des mesures de cette proposition de loi transpartisane : 

  • Inciter la police à poursuivre les investigations

La proposition de loi rend obligatoire la formation initiale et continue des policiers et des gendarmes aux violences sexuelles et sexistes.

Elle propose aussi la création d'unités spécialisées au sein de la police judiciaire, permettant un traitement plus efficace de ce type de violences.

Depuis l'émergence du mouvement #Metoo en 2006, le nombre de plaintes a triplé, et les classements sans suite ont également augmenté, constate Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, présente lors de la conférence de presse de présentation de la proposition de loi. "En 2024, 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite dans notre pays, et ce taux est en augmentation depuis MeToo, il y a neuf ans", s'indigne-t-elle.

L'une des propositions qui en découle entend donc définir "un socle obligatoire d'actes d'enquêtes pour limiter les classements sans suite".  

"Bien souvent ces classements sans suite interviennent pour défaut de preuves. Or, il y a défaut de preuve parce qu'il n'y a pas ou peu d'actes d'enquête", déplore Alyssa Ahrabare, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF). Elle souligne également que "le traitement qui est fait aux victimes qui viennent déposer une plainte, bien souvent, va différer en fonction de l'origine ethnique, du statut administratif, et de la situation de vulnérabilité". En conséquence, les classements sans suite touchent de manière disproportionnée les publics les plus précaires, notamment les femmes sans domicile ou celles en situation de prostitution.

Sur ce point, Aurore Bergé propose quant à elle "que le classement sans suite soit systématiquement motivé, que les victimes comprennent pourquoi il n'y a pas eu de suite judiciaire, et qu'on leur ouvre un droit de recours potentiel."

  • Mettre fin au mythe du devoir conjugal

La proposition de loi transpartisane s'attaque aussi au droit français, dont elle propose plusieurs modifications. Les députes envisagent d'inscrire dans un article que le devoir conjugal n'existe pas.

"On ne peut pas obtenir de son épouse le devoir conjugal", insiste la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, participante active à l'écriture du texte de loi. "Le devoir conjugal n'existe pas, alors il faut l'écrire et l'énoncer dès le mariage", propose-t-elle.

Entendu comme une obligation implicite pour les époux d'entretenir des relations sexuelles, c'est une notion héritée de la tradition chrétienne et de son injonction à procréer, sans aucune racine juridique. Pourtant elle demeure profondément ancrée dans la culture populaire, au point que la jurisprudence française l'a longtemps reconnue. En janvier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a même sanctionné la France pour avoir condamné en 2019 une femme qui refusait les relations sexuelles avec son mari.

  • Des cours d'assises pour juger les viols

Le texte entend "réformer la justice" pour "mieux protéger les victimes. Les parlementaires souhaitent la création "d'une juridiction spécialisée, d'un juge des violences sexistes et sexuelles et d'un référé pénal dédié". Ils proposent en outre la suppression des cours criminelles départementales et le retour aux cours d'assises pour juger les viols.

La sénatrice Laurence Rossignol pointe par ailleurs la formation des experts psychiatriques, "qui ne sont pas toujours dignes des tâches qu'on leur confie, c'est-à-dire d'accompagner et d'identifier les préjudices sur les victimes". Le texte prévoit donc un renforcement de leur formation.

Aurore Bergé estime, elle aussi, qu'il faut "opérer un changement majeur sur l'accompagnement des victimes et sur le traitement judiciaire". Comme dans la proposition de loi transpartisane, la ministre veut garantir l'accès inconditionnel à l'aide juridictionnelle pour les victimes de violences. Elle propose par ailleurs d'assurer la présence de leur avocat lors des examens médicaux si elles le souhaitent, et d'enregistrer leur premier témoignage afin d'éviter qu'elles n'aient à le répéter tout au long de la procédure.

  • Consentement requis pour les patientes

La proposition de loi inclut également un volet dédié aux violences obstétricales et gynécologiques. Le consentement de la patiente sera requis. "Ce texte doit permettre aussi aux professionnels de santé de comprendre que, oui certes, ils ont parfois la vie d'être humains entre leurs mains, mais pour autant le consentement est fondamental", a expliqué la députée Céline Thiébault-Martinez, détaillant le contenu de sa proposition de loi sur France inter.

Sur le volet santé, les parlementaires entendent aussi mettre à l'écart "tout professionnel de santé mis en examen pour violences sexistes et sexuelles" ou "visé par des signalements concordants ", et interdire définitivement d'exercer à toute personne condamnée pour violences sexuelles ou sexistes.

  • Un entretien annuel pour chaque enfant en maternelle

Grande nouveauté de ce travail parlementaire, il inclut pour la première fois des propositions de lutte contre les violences sexuelles contre les mineurs dans le volet violences sexuelles contre les femmes. Une demande répétée des associations de protection de l'enfant, qui estiment depuis des années qu'elles "relèvent d'un même continuum de domination et d'un même impératif de protection" que celles visant les femmes.

"Puisque l'on sait qu'en moyenne trois enfants par classe sont victimes de violences sexuelles", explique Céline Thiébault-Martinez, le texte prévoit que pour chaque enfant, un entretien annuel sera assuré par des professionnels de santé dès son entrée en maternelle afin de prévenir, mais aussi déceler les situations de violences pour y mettre fin plus tôt.

"On ne se remet jamais de violences sexuelles ou physiques subies dans son enfance, et encore moins lorsque l'on n'est pas correctement accompagné. Il faut que l'on puisse, par notre système de santé, participer à la réparation de tous ces enfants", a souligné le député d'Europe Écologie Les Verts Arnaud Bonnet, en précisant que la loi prévoit la mise en place d'un parcours de soins coordonné pour les enfants victimes de violences sexuelles.

Quant à Aurore Bergé, parmi les mesures phares de son projet de loi-cadre figure le contrôle systématique du casier judiciaire de tous les professionnels en contact avec des enfants, dans un contexte marqué par plusieurs signalements d'agressions sexuelles dans le périscolaire à Paris.

Concernant les violences intrafamiliales, la proposition de loi de Céline Thiébault-Martinez vise également à mieux protéger l'enfant en "renforçant la sécurité du parent protecteur" et en interdisant la résidence alternée ou principale chez le parent auteur de violences.

  • Le crime d'inceste reconnu comme une infraction à part entière

L'article 39 propose de reconnaitre le crime d'inceste comme une infraction autonome, et non plus "comme une simple circonstance aggravante, diluée et fragmentée dans le Code pénal", expliquent les auteurs du texte.

Si la proposition de loi est adoptée, il ne sera plus possible de se marier ou de se pacser entre cousins. "Nous ajoutons les cousins à la lignée des adultes pour lesquels l'agression peut être relevée en inceste", indique la députée socialiste Florence Hérouin-Léautey, soulignant que l'interdiction du mariage et du Pacs entre cousins corrige une anomalie "qui n'est pas sans lien avec ce qui continue de prospérer dans la sphère familiale".

Autre mesure annoncée : la proposition de loi supprime l'obligation pour les enfants victimes de prendre en charge les frais funéraires d'un parent en cas d'inceste.

  • Une nouvelle infraction : la diffusion d'images de viol en ligne

Le texte transpartisan vise également la cybercriminalité. Six articles y sont consacrés, avec la proposition d'intégrer la nécessité du consentement à la diffusion d'images ou vidéos sexuelles, et d'introduire de nouvelles infractions sexistes à la loi française, comme la diffusion d'images de viol ou d'images intimes en ligne.

La "traque furtive en ligne" pourra être reconnue comme une circonstance aggravante, permettant de poursuivre les auteurs de ce type de violences. Une mesure que la députée du groupe Horizons Isabelle Rauche juge "extrêmement importante", car les nouvelles technologies permettent aux agresseurs de continuer à avoir une emprise sur leurs victimes à l'aide de trackers ou de systèmes installés sur les téléphones. "On a beau prononcer des ordonnances d'éloignement, finalement ça ne se fait pas aussi bien que ça, puisqu'avec ces trackers, l'éloignement ne se fait pas. La victime est toujours sous l'emprise et elle peut être toujours victime de son agresseur."

La question du contrôle coercitif est aussi prise en compte dans le projet de loi évoqué par Aurore Bergé. "Interdiction d'un compte bancaire, GPS traqué, puce sur votre téléphone, contrôle de vos fréquentations... Toutes ces humiliations doivent être caractérisées en droit de manière bien plus systématique", déclare ainsi la ministre déléguée.

Sur l'aspect cybercriminalité, elle souhaite en outre que les managers de plateformes de type Onlyfans soient qualifiés de proxénètes. 

En 2017, Emmanuel Macron érigeait la lutte contre les violences faites aux femmes au rang de "grande cause du quinquennat", mais les associations – la Fondation des femmes en tête – n'ont eu de cesse de dénoncer les coupes budgétaires qui mettent en péril leurs actions et la survie des victimes. 

Reste à savoir si certaines des 78 propositions avancées par les parlementaires, qui représenteraient un coût d'environ trois milliards d'euros si elles étaient appliquées, seront retenues et intégrées au budget. 

Rien n'est moins sûr si l'on en croit les premières déclarations d'Aurore Bergé sur son projet de loi-cadre. "On a beaucoup de mesures aujourd'hui qui peuvent être déployées immédiatement sans moyens budgétaires supplémentaires et qui sont des mesures de protection", a dit la ministre déléguée.

"Je ne dirai jamais non à plus de moyens", a-t-elle ajouté, "ce que je dis juste, c'est que les moyens qui sont alloués ne se limitent pas aux moyens de mon ministère. Quant à l'aide aux associations, il n'y a pas eu un euro de baisse sur celles qui sont soutenues par le ministère." 

Des propos que réfute Céline Thiébault-Martinez, notamment concernant la diminution du budget consacré aux associations qui accompagnent les femmes victimes de violences. "Peut-être que ça n'est pas que de la responsabilité de la ministre. Mais on a un gouvernement qui est très clairement dans un double discours. On nous annonce des choses, on nous dit que tout va changer, on ne sait pas quand et on n'a pas de moyens."