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Donald Trump assure qu'il est impossible pour le président des États-Unis d'avoir des conflits d'intérêt. Ses multiples investissements à l’étranger soulèvent pourtant la question et les règles sont loin d’être claires en la matière.

Des conflits d’intérêt ? Où ça des conflits d’intérêt ? Le nouveau président des États-Unis et magnat de l’immobilier, Donald Trump, a balayé la question d’un revers de main, lors de son entretien avec les journalistes du New York Times, mardi 22 novembre.

“La loi est de mon côté : le président ne peut pas avoir de conflit d’intérêt”, a-t-il assuré. L’homme d’affaires a même donné l’impression de s’étonner du peu de contraintes que sa nouvelle fonction politique lui imposait : “En théorie, je pourrai en toute légalité diriger parfaitement le pays tout en dirigeant parfaitement mes entreprises”.

Pourtant, lors du premier débat de la primaire républicaine en janvier, il avait martelé qu’il “ne s’occuperait pas de ses affaires car la seule chose qui [l]’importerait [une fois élu] serait notre pays”. Il avait même un plan bien ficelé pour compartimenter ses deux vies : à lui le pays, à ses enfants les affaires.

Éolienne vs golf

La question du mélange des genres est pourtant au cœur de l’actualité de cette période de transition politique. Lorsque Donald Trump avait reçu, peu après sa victoire électorale, le nationaliste britannique Nigel Farage, il lui avait assuré être opposé aux projets d’éoliennes en Écosse car elles gâchaient la vue depuis l’un de ses clubs de golf, raconte le quotidien britannique Financial Times. L’exemple peut sembler anodin mais il illustre la tendance de Donald Trump à ne pas perdre une occasion pour veiller sur ses investissements.

Il avait alors oublié de préciser que sa progéniture jouerait un rôle politique dans son équipe de transition. Trois de ses enfants – Ivanka, Donald Trump Jr et Eric – y participent… tout en assurant le bien-être économique de l’empire Trump. D’où des nouvelles accusations de potentiels conflits d’intérêt.

Le détail de la politique que le nouveau président va mener au Moyen-Orient est ainsi attendu avec grand intérêt : Ivanka Trump a qualifié, l’an dernier, cette région de “priorité numéro 1” pour la holding Trump International. En fait, c’est toute sa politique étrangère qui sera épluché au peigne fin par ceux qui aimeraient dénicher la petite bête. Au moins 111 sociétés de la galaxie Trump ont investi dans 18 pays, d’après un calcul du Washington Post.

Là encore, Donald Trump a voulu botter en touche, tentant une pirouette. “Si j’écoutais les critiques, je ne verrais plus jamais ma fille Ivanka”, s’est plaint le futur locataire de la Maison Blanche. Mais cet amour filial, que Donald Trump assure être économiquement désintéressé, risque néanmoins de lui poser des problèmes juridiques.

Washington a bien accepté des cadeaux

La situation légale du président/homme d’affaires est, en effet, moins simple qu’il veut bien le faire croire. Certes, la loi américaine sur les conflits d’intérêt exempt nommément le président en exercice de son champ d’application. Mais la Constitution est beaucoup moins claire à cet égard. Il existe une clause constitutionnelle, qui interdit à quiconque exerce “une fonction publique”, de recevoir des cadeaux ou tirer profit d’un “roi, prince ou État étranger”, sans l’accord du Parlement. Ce texte, dans son interprétation la plus large, concerne aussi les entreprises publiques.

Dans le cas de Donald Trump, le risque le plus pressant viendrait de la Chine, d’après le magazine Fortune. Au moins une de ses entreprises a, d’après le New York Times, reçu un prêt de la Banque de Chine (qui dépend de l’État). Si les termes du crédit - baisse des taux d’intérêt, étalement des échéances - venaient à être modifiés, cela pourrait être perçu comme un “cadeau” anticonstitutionnel.

Encore faut-il que cela s’applique réellement au président des États-Unis. Le juriste américain, Seth Barrett Tillman, n’y croit pas : cette clause, rédigée à l’époque de Georges W. Washington, n’a pas empêché le premier président de recevoir au moins deux cadeaux de puissances étrangères (dont la France), sans que personne n’y trouve rien à redire à l’époque. Pour cet expert, qui consacre à cette question une tribune dans le New York Times, la raison en est simple : le texte ne concernerait que les personnes nommées à un poste publique, alors que le président des États-Unis est élu.

Ce n’est pas l’avis de Donald J. Baron, un juge à la Cour d’appel de Boston qui a travaillé pour le département de la Justice pendant le premier mandat de Barack Obama. Il a estimé, dans un rapport de 2009 consacré à la question, qu’il n’y avait pas lieu de faire la distinction entre personnel nommé et élu. Le président, même s’il se trouve tout en haut de l’échelle administrative, exerce une fonction publique et doit, à ce titre, se soumettre à des règles évitant qu’il puisse être corrompu par une puissance étrangère.

Cette note avait été commandée à Donald J. Baron par Barack Obama, à une époque où son nom commençait à circuler pour le prix Nobel de la paix (qu’il a obtenu cette même année). Le président se demandait s’il pouvait accepter le prix car il était accompagné d’un chèque qui pouvait être assimilé à un “cadeau” d’un autre pays. Il avait fallu treize pages au juriste pour conclure que le président restait dans les clous de la légalité car le jury nommé par le comité Nobel (qui dépend pourtant de la Banque publique de Suède) était indépendant. Les contours de la règle sur le conflit d’intérêt demeurent donc encore largement flous et ouverts au débat. Une seule chose semble réellement sûre : Donald Trump peut accepter le prix nobel de la Paix… si on lui propose un jour.