Alors que les affaires de pédophilie dans l’Église se sont multipliées ces dernières années, notamment aux États-Unis et en France, nos reporters ont enquêté sur la communauté des Frères du Sacré-Cœur, importante congrégation catholique qui envoie des missionnaires depuis près d’un siècle en Afrique. Au Sénégal, ils ont rencontré une victime présumée de l’un des Frères, avant de le retrouver au Québec. Ce dernier, qui ne nie pas les faits, n’a toujours pas été inquiété.
Attention, ce reportage comporte des propos pouvant heurter un jeune public.
En avril dernier, c’est par l’intermédiaire de "La Parole Libérée", association française d’aide aux victimes de pédophilie, que nous entrons en contact avec Souleymane. Sous couvert d'anonymat, ce Sénégalais âgé d’une quarantaine d’années nous confie son histoire : son enfance à Kaolack, l'une des plus grandes villes du Sénégal au sud-est de Dakar, puis sa scolarité au collège Pie XII, dirigé par la branche canadienne des Frères du Sacré-Cœur. Cette importante congrégation catholique envoie des missionnaires depuis près d’un siècle en Afrique.
Souleymane a 12 ans, se souvient-il, quand l’un des religieux, professeur de français, l’invite pour la première fois après la classe à un cours particulier "d’éducation sexuelle". Souleymane affirme avoir été abusé pendant trois ans, mais n’en avoir parlé à personne, jusqu’en 2010.
Caméra cachée
Cette année-là, il contacte, selon ses dires, un autre membre de la congrégation, enseignant au collège Pie XII à l’époque, et toujours en activité dans un lycée dakarois, pour lui raconter son histoire. Au fil de leurs échanges, Souleymane apprend alors que le religieux qu’il accuse serait mourant au Canada, et surtout que des supérieurs hiérarchiques auraient été alertés des agissements de cet homme. Pourtant Souleymane nous assure, en colère, n’avoir jamais été approché par l’institution. Il nous donne le nom du Frère qu’il accuse et son lieu de résidence probable, le Québec, si toutefois il est encore vivant...
C’est avec peu d’espoir que nous poursuivons notre enquête au Canada. Nous finissons par localiser, dans la ville de Sherbrooke, à 150 km à l’Est de Montréal, la résidence dans laquelle logent les membres de la congrégation à la retraite. S’il est encore en vie, le missionnaire pourrait bien s’y trouver... Nous décidons donc de nous y rendre, et pour conserver la preuve d’un éventuel témoignage, nous équipons d’une caméra cachée.
À notre grande surprise, nous finissons par rencontrer cet homme accusé de pédophilie par Souleymane. Âgé de 92 ans, et bien qu’en chaise roulante, il est en pleine possession de ses facultés intellectuelles. Contre toute attente, le missionnaire reconnaît instantanément les faits ! Notre entretien avec lui est édifiant. Il soutient que la communauté religieuse n’a pas mené d’investigations, malgré les accusations de 2010. Mais en a-t-elle seulement été informée, comme Souleymane nous l'assure ?...
Scandale au Québec
Pour le vérifier, nous décidons de continuer notre enquête à Dakar et de rencontrer le Frère que Souleymane assure avoir alerté au moment où il a décidé de briser le silence, en 2010. Nous nous équipons à nouveau d’une caméra cachée. Ce dernier nous confirme que ses supérieurs hiérarchiques ont bel et bien été mis au courant de ces accusations !
Lorsqu’à la mi-septembre, nous contactons le supérieur provincial de la congrégation au Canada, il ne semble ni surpris des propos que nous lui rapportons, ni pressé de répondre à nos questions... Après plusieurs échanges, la réponse de la congrégation est sans appel : "Dans les circonstances, la communauté Les Frères du Sacré-Coeur au Canada n'entend pas donner suite à votre demande".
Depuis, la communauté religieuse a été éclaboussée par un autre scandale au Québec. Selon la demande de recours collectif déposée devant les tribunaux canadiens, entre 1940 et 1980, onze de leurs membres pourraient avoir abusé des dizaines d’élèves d’un établissement scolaire québécois. L’enquête ne fait visiblement que commencer.
France 24 mène la suite de cette enquête en partenariat avec le journal La Presse à Montréal et le site Dakaractu au Sénégal. Si vous pouvez y contribuer, votre témoignage nous sera utile. N’hésitez pas à nous écrire à cette adresse : reporters@france24.com.