Les archives de France organisent partout dans le pays une Grande collecte de documents concernant les relations entre l'Hexagone et l'Afrique aux XIXe et XXe siècles. Les familles sont invitées à fournir photos, carnets, courriers sur ce thème.
Lancée pour la première fois il y a trois ans à l’occasion du début du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Grande collecte va avoir lieu de nouveau ce week-end un peu partout en France. Pour cette troisième édition, le thème retenu est celui des relations entre l’Afrique et la France, aux XIXe et XXe siècles. Du vendredi 18 au dimanche 20 novembre, les services publics d’archives accueilleront tous ceux qui souhaitent participer à cette collecte de documents. Hervé Lemoine, directeur des Archives de France, explique à France 24 en quoi consiste ce dispositif.
France 24 : Comment est venue l’idée d’organiser une nouvelle Grande collecte ?
Hervé Lemoine : Il y a trois ans, nous avons déjà procédé à une première édition de cette Grande collecte. L’idée de départ, au moment de la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, était d’enrichir nos fonds et collections avec des documents conservés par les familles. Nous avons alors été très surpris du succès rencontré. Nous nous sommes aperçus que les gens avaient conservé énormément de choses. D’où cette idée de renouveler cette opération et de l’installer comme un rendez-vous annuel entre les Français et leur Histoire.
Ce qui nous intéresse avec ce projet, c’est d’essayer d’ouvrir beaucoup plus les sources dont nous disposons avec des documents qui n’avaient pas vocation à rejoindre nos services d’archives. Les archives que nous avons sont toujours des sources très officielles et très administratives qui ne permettent pas de restituer toute la dimension sensible et humaine de cette histoire. Ce sont des milliers de parcours de vie de part et d’autre de la Méditerranée qui n’ont cessé de voyager, de subir ou de choisir des migrations. Obtenir de nouveaux documents nous permettra de donner du sens pour le futur à des événements historiques passés. C’est vraiment le rapport entre le personnel et le collectif qui nous intéresse dans cette opération.
Pourquoi avoir choisi cette année le thème des relations entre l’Afrique et la France ?
En mars 2016, au moment de la commémoration des accords d’Évian (marquant la fin de la Guerre d'Algérie, NDLR), le président de la République a beaucoup insisté sur l’intérêt de mener des opérations de mémoire partagées entre les pays d’Afrique du Nord et la France, d’autant plus que cela a été une histoire parfois très tendue. Il y a eu beaucoup de conflits et de rivalités. En appelant à faire ce travail de mémoire, nous avons voulu donner corps à cette volonté.
Nous nous sommes également dit qu’il fallait absolument travailler avec l’Éducation nationale sur ce sujet parce que l’école est évidemment un endroit très propice pour parler de ces sources pour l’Histoire. Dans les classes, il y a beaucoup d’élèves qui sont issus des 2e ou 3e générations de migrants. Nous voulions que beaucoup d’enfants se sentent concernés. C’est pourquoi l’opération va débuter vendredi 18 novembre avec un temps de parole entre professeurs et élèves dans les classes de 3e.
Peut-être que les familles ne déposeront pas de documents dans un service d’archives, mais au moins les enfants seront amenés à discuter avec leurs parents ou leurs grands-parents. Ils leur demanderont peut-être pour la première fois pourquoi ils se sont installés en France. Même si nous n’arrivons pas au bout de la démarche qui est celle du don, il y aura un échange dans les familles et une prise de conscience du fait que tout le monde a une histoire, qu’elle n’a pas toujours été simple et que surtout, elle n'a pas toujours été dite.
Quel type de documents espérez-vous recevoir lors de cette Grande collecte ?
Nous espérons collecter beaucoup de photographies, mais aussi parfois des documents rédigés comme des correspondances entre les différents membres des familles restés de part et d’autre de la Méditerranée, ou des journaux personnels. Nous pouvons espérer recevoir des documents qui avaient été conservés par des descendants de personnes qui avaient des fonctions officielles et qui n’avaient pas forcément versé toutes leurs archives.
Ce qui va être plus difficile, c’est d’essayer de faire en sorte que des personnes qui habituellement ne se sentent pas forcément concernés par ce sujet puissent se dire que les quelques photos ou correspondances qu’ils détiennent sont peut-être intéressantes. Maintenant que la nouvelle se diffuse, nous avons déjà des gens qui se manifestent. Nous avons déjà été contactés par la petite-fille d’un explorateur qui a les carnets de son grand père et qui serait prête à les donner. Nous avons aussi été approchés par la fille d’un journaliste sénégalais, qui était un opposant politique de Senghor et un pourfendeur du système postcolonial français. Elle a beaucoup de carnets qu’elle voudrait aussi déposer.
Concrètement, comment va se dérouler cette Grande collecte ? Si quelqu’un est intéressé par votre appel, que doit-il faire ?
Les services d’archives, à Paris ou en province, vont ouvrir leurs portes, ainsi que nos partenaires comme la Cité de l’histoire de l’immigration ou les différents centres qui relèvent du ministère de la Défense. Tous les lieux de collecte sont indiqués sur notre site. Par définition, tous les services d’archives, départementales ou nationales, vont ainsi accueillir toutes les personnes qui viendront déposer des documents. Même si les gens sont un peu hésitants à l’idée de donner leurs archives, il y aura au moins un échange sur place avec les archivistes.
Il faut savoir que les gens peuvent simplement faire numériser leurs documents et ensuite les garder. Toutes les solutions sont envisageables, même si par définition nous avons plus vocation à conserver des documents originaux. Après cette Grande collecte, il sera possible de retrouver, sur notre site, un florilège des documents qui auront été numérisés. Il est toujours intéressant pour le public de voir une restitution de ce qui a été fait. Cela leur donne aussi un exemple des documents que nous conservons et que nous cherchons à collecter.