
Après son expulsion dimanche à la suite d’une enquête sur la torture en Turquie, le journaliste français Olivier Bertrand revient pour France 24 sur les raisons de son arrestation, qui sonne comme "un avertissement à la presse étrangère" selon lui.
De retour en France dimanche 13 novembre après avoir été retenu pendant trois jours par les autorités turques, le journaliste français Olivier Bertrand, s’est dit inquiet pour la liberté de la presse en Turquie. "Mon arrestation était un avertissement à l’adresse de la presse étrangère" a expliqué à France 24 le co-fondateur du site d’information Les Jours.
Interpellé vendredi par les autorités turques pendant un reportage à Gaziantep, près de la frontière syrienne, le journaliste français a passé trois jours en détention sans contact avec l’extérieur, sans connaître les motifs exacts de son arrestation, ne sachant pas jusqu’à la dernière minute qu’il allait être expulsé du pays. "C’est en voyant les panneaux le long de l’autoroute dimanche que j’ai compris qu’on faisait route vers l’aéroport international Atatürk", a-t-il raconté à Télérama.
Au moment de son arrestation, vendredi, Olivier Bertrand se trouve dans une école de Gaziantep pour le reportage qu’il prépare pour Les Jours. Le "service des étrangers" de la police turque l’embarque et l’emmène dans un "centre de rétention". Il y reste jusqu’au lendemain dans une cellule fermée, sans interprète, toujours sans savoir pour quel motif il est arrêté. Il finit par être conduit à plus de 1 000 kilomètres de là, à Istanbul, où il passera 48 heures entre cellule et interrogatoires.
Une enquête sur les purges et la torture en Turquie
Pendant qu’Olivier Bertrand est entre les mains de la police turque, on apprendra par un communiqué de l’agence de presse progouvernementale Anadolu que le Français a été interpellé et placé en garde à vue car "il n'avait pas demandé les accréditations nécessaires auprès des autorités". "Ça, c’est la version officielle. C’est vrai, mais cela ressemble à un prétexte, explique le journaliste a posteriori. La plupart des collègues se rendent à Gaziantep sans accréditation." Et pour cause, les conditions de travail se sont fortement dégradées au cours des derniers mois pour les journalistes étrangers en Turquie, notamment par le biais d’obstacles administratifs, avec des demandes d’accréditations de plus en plus difficiles à obtenir.
Mais la véritable raison de son arrestation est à chercher ailleurs. Le journaliste des Jours, en reportage à Gaziantep, enquêtait sur "les suites des purges et sur des cas de tortures dans des postes de police", précise-t-il à France 24. Une enquête qui n’était pas du goût des autorités turques. Plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme accusent Ankara de se servir de l'état d'urgence instauré après la tentative avortée de coup d'État du 15 juillet 2016 pour étouffer toute critique.
Dans ses communiqués, l'agence de presse progouvernementale turque a par ailleurs présenté Olivier Bertrand comme un journaliste écrivant des articles "en faveur" de personnes soupçonnées d'appartenir au réseau du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Recep Tayyip Erdogan comme l'instigateur du putsch manqué.
Pressions sur les journalistes occidentaux
"Dans un pays démocratique, Olivier Bertrand aurait pu poursuivre son reportage sans être expulsé par un pouvoir qui a des choses à cacher", a réagi sur Twitter le secrétaire général de l'ONG Reporters sans frontières, Christophe Deloire. L'interpellation d'Olivier Bertrand survient alors que les relations entre Ankara et Bruxelles se sont tendues ces dernières semaines, après l'arrestation de plusieurs opposants politiques turcs et journalistes, dont le patron du quotidien d'opposition Cumhuriyet, Akin Atalay, qui a été placé en détention samedi.
D’autant plus qu’Olivier Bertrand n’est pas le seul journaliste occidental à avoir récemment subi des pressions. Il y a quelques semaines, le correspondant du Spiegel s’est vu refuser le renouvellement de son autorisation de travailler. Lui aussi a dû quitter le territoire turc.
Inquiétude pour ses contacts turcs
"Ce que j’ai vécu n’est qu’un aperçu de ce qui arrive à des dizaines de milliers de personnes en Turquie, pas seulement des journalistes", indique pour sa part Olivier Bertrand, très inquiet pour ses sources, restées en Turquie. "Pendant mes interrogatoires, mon obsession a été de protéger mes contacts turcs, donc mon téléphone", raconte le journaliste qui dit avoir subi un chantage. "Ils m’ont dit que si je leur donnais les codes de mon téléphone, je pourrais rentrer chez moi, ce que j’ai absolument refusé de faire."
L’arrestation du journaliste a été qualifiée dimanche d'"inadmissible" par le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, qui avait "exigé" sa remise en liberté. L’ambassade de France a joué un rôle important dans la libération du journaliste, d’après Olivier Bertrand, qui s’est débrouillé pour passer un coup de fil avant que son téléphone ne lui soit confisqué et que tout contact avec l’extérieur ne lui soit interdit.
Le co-fondateur du site d’information Les Jours prépare désormais un récit de ses trois journées de détention, qui sera publié mercredi. Il se dit encore plus déterminé à continuer son travail sur la Turquie, même si Ankara risque de prononcer une interdiction de territoire à son encontre.
Avec AFP