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Les pays de l’Otan face à l’isolationnisme version Donald Trump

Les prises de position isolationnistes de Donald Trump inquiètent les membres de l’Otan. Pour Olivier de France, spécialiste des questions stratégiques et de défense, cela pourrait pousser l’Europe à prendre davantage sa sécurité en main.

"L’Amérique d’abord." Hormis son slogan isolationniste, l'ex-candidat républicain Donald Trump, élu le 9 novembre à la présidence des États-Unis, est resté vague sur ses orientations en matière de politique étrangère durant toute sa campagne.

Une chose est cependant revenue dans ses discours : plus question pour les États-Unis de jouer les gendarmes du monde. Au cours d’une intervention le 27 avril au siège de la revue The National Interest, il avait notamment estimé que l’Otan était une machine à cash, qui coûtait cher aux États-Unis et que les alliés devaient payer davantage pour la défense européenne. Et de laisser entendre que l'engagement militaire de Washington aux côtés de ses partenaires, pour répondre à une éventuelle agression russe contre ses voisins, dépendrait des moyens mis au pot commun par les Européens.

Donald Trump avait également appelé à moins de militantisme anti-russe et davantage de collaboration dans la lutte anti-terroriste.

Ces prises de positions ont entraîné "un choc psychologique au sein des pays de l’Otan, qui depuis la fin de la guerre froide ont intégré le fait que les États-Unis interviendront s’ils sont attaqués : c’est une remise en cause de ce filet de sécurité", estime Olivier de France, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des questions stratégiques et de défense. Un filet de sécurité garanti par l’article 5 du traité de Washington, qui a donné naissance à l’Otan en 1949 : si un pays membre de l’Alliance est attaqué, les autres, et en premier lieu, les États-Unis, lui doivent assistance.

"Ne plus compter autant sur les États-Unis"

L’isolationnisme de Donald Trump suscite une inquiétude légitime dans les pays de l’Alliance. "Je n’ai jamais pensé qu’un candidat sérieux à la présidence américaine pouvait être une menace sérieuse pour la sécurité de l’Ouest. Mais c’est là où nous en sommes", a ainsi tweeé l’ancien ministre suédois des Affaires étrangères Carl Bildt, en juillet.

"Attention, on ne sait pas ce que [Donald] Trump fera lorsqu’il sera aux affaires et sa priorité reste la politique intérieure", nuance Olivier de France. Il souligne que lors du discours que le futur président a donné à Gettysburg (Pennsylvanie), fin octobre, et dans lequel il a déroulé son programme, aucune de ses trente propositions ne portait sur la politique extérieure.

"Ce qu’on peut dire en revanche, insiste le chercheur, c’est que les craintes que soulève Trump vont peut-être obliger les Européens à prendre davantage leur sécurité en main et les amener à ne plus compter autant sur les États-Unis." Olivier de France rappelle qu’à l’heure actuelle, la plupart des pays européens n'allouent pas 2 % de leur PIB à leur défense, comme le stipulent les règles de l’Otan. Seuls cinq des 28 pays membres de l’Alliance atlantique respectent la règle : les États-Unis, bien sûr, la Grèce, l'Estonie, la Pologne et le Royaume-Uni.

À titre de comparaison, le montant du budget défense de Washington atteint 5 à 6 % du PIB des États-Unis, soit près de 600 milliards de dollars. Face à ce déséquilibre, "il n’est pas exclu que Trump mette les pieds dans le plat, et lie le devoir d’intervention américaine au respect de ces fameux 2 % par tous les États de l’Otan.

Une Otan forte est une bonne chose pour les États-Unis

L’Alliance se prépare-t-elle à ce revirement ? "Ses États membres ont en tout cas déjà fait face à une évolution de la diplomatie américaine sous l’ère Obama, quand celui-ci a mis en place sa stratégie de ‘pivot vers l’Asie’ et a davantage tourné sa diplomatie vers le Pacifique", répond le chercheur, qui rappelle que le dernier blindé lourd américain a quitté l’Europe sous… Obama.

"L’Europe pensait que le monde irait vers une diplomatie du dialogue et non du rapport de force, et c’est le contraire qui se produit. Autour de l’Europe, les États augmentent leur budget défense", poursuit Olivier de France.

La crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée par la Russie ont en effet entraîné une prise de conscience dans les pays baltes et la Pologne, voisins direct de la Russie, qui ont augmenté leur budget défense. Cas emblématique : celui de la Lituanie, dont ce poste de dépense a augmenté de 60 % en deux ans, pour atteindre 744 millions d’euros.

La ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyena a invité, jeudi 10 novembre, le futur président à clarifier ses positions au sujet de la Russie et à considérer l'Otan comme une alliance de valeurs plutôt que comme une entreprise.

Félicitant le futur pensionnaire de la Maison Blanche pour son élection, le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a quant à lui souligné, que le rôle des États-Unis était "plus important que jamais" au moment où le monde est confronté à des défis nouveaux en matière de sécurité. "Une Otan forte est une bonne chose pour les États-Unis et une bonne chose pour l'Europe", a-t-il insisté.