
correspondante à Washington – Le Congrès, aux mains des républicains, va-t-il basculer mardi 8 novembre, jour de l'élection du 45e président des États-Unis ? Si la Chambre des représentants est bien ancrée à droite, le Sénat pourrait, lui, passer dans le camp démocrate.
Mardi 8 novembre sera désigné le prochain locataire de la Maison Blanche. Mais les électeurs américains sont également appelés à choisir ce jour-là les parlementaires siégeant à la Chambre des représentants et au Sénat. Si la course au Congrès est moins médiatisée que la bataille entre Hillary Clinton et Donald Trump, elle est pourtant cruciale.
Décryptage avec Steven Smith, professeur de science politique et spécialiste du Congrès américain à l’American University de Saint-Louis, dans le Missouri, et Sarah Rosier, qui couvre la politique fédérale chez Ballotpedia, l’encyclopédie en ligne des élections américaines.
1 ) Qui va gagner ?
Sauf énorme surprise, la Chambre des représentants devrait rester républicaine. La totalité des 435 sièges sont renouvelés tous les deux ans. Les républicains sont majoritaires depuis 2014 avec 246 sièges contre 186 côté démocrate. Pour renverser la situation, il faudra donc que les démocrates ravissent au moins 30 sièges aux républicains. "Cela semble peu probable", estime Steven Smith, pour qui ils ne pourraient récupérer que 15-20 sièges.
Au Sénat, également dominé par les républicains depuis deux ans, les démocrates ont une bonne chance de l’emporter. Un tiers seulement des 100 sièges sont à pourvoir tous les deux ans. "Cette année, c’est 34 sièges, dont 24 tenus par des républicains, ce qui rend ces derniers plus vulnérables", analyse Steven Smith. Pour faire basculer le Sénat, où siègent actuellement 54 républicains, 44 démocrates et deux indépendants (dont Bernie Sanders) qui leur sont alliés, il faudra que les démocrates remportent cinq sièges pour arriver à 51. Ou quatre seulement pour arriver à 50 si Clinton gagne, car en cas d’égalité 50-50, c’est le vice-président Tim Kaine qui décidera quel parti a la majorité.
2) Comment l’élection présidentielle influence-t-elle la course au Congrès ?
- Le soutien des élus : de nombreux candidats républicains au Sénat ou à la Chambre ont pris leur distance avec Donald Trump, par peur de gâcher leurs chances de réélection après la sortie d'une vidéo compromettante pour leur candidat. Mais l’affaire est passée au second plan après l’annonce par le FBI, vendredi dernier, d’une enquête sur de nouveaux emails qui peut entraver les chances d'Hillary Clinton. Si la nouvelle a partiellement comblé l’écart des sondages entre les deux candidats, il est trop tôt pour savoir si elle aura une influence sur des élus locaux. Pour l’instant, relève Sarah Rosier, aucun candidat démocrate ne s’est désolidarisé de Clinton.
- Crainte de l’abstention : selon Steven Smith, "lorsqu'un candidat à la présidentielle est mis en difficulté, cela peut avoir des répercussions sur les scrutins locaux. Comme de générer de la frustration chez les jeunes supporters, démotivés pour aller voter." Côté républicain, il y a eu la vidéo de Trump, "mais après la mauvaise semaine que vient de passer Clinton…", relativise-t-il, difficile de prévoir quel sera l'impact électoral pour chacun des camps.
- Financement des campagnes : "Après les déboires de la campagne de Trump, de nombreux républicains ont réaffecté leurs financements à la campagne du Congrès", ajoute Steven Smith. Se pourrait-il qu’ils aient fait marche arrière à la suite de l’annonce récente du FBI de relancer l'enquête sur les emails de Clinton ? "Oui, mais c’est très difficile, quand l’argent arrive trop tard, de l’utiliser de manière efficiente."
- Thèmes de campagnes : ces élections locales auront été, plus que d’habitude, influencées par cette campagne pour la présidentielle, à cause des personnalités très clivantes des candidats et des thèmes de campagnes nationaux, comme la réforme de l’assurance santé ou l’immigration. "Les candidats au Congrès ont dû beaucoup parler de Hillary Clinton et de Donald Trump pendant leur campagne", confirme Sarah Rosie.
- Réponse mardi soir : "Ce qui sera intéressant, c’est d’observer comment les prétendants au Sénat vont s’en sortir par rapport à leur candidat à la Maison Blanche, pointe Sarah Rosie. Dans de nombreux cas, ils devraient obtenir une proportion de voix similaires, mais il ne serait pas surprenant de voir certains sénateurs républicains récolter plus de votes que Donald Trump."
3) Quels sont les États à suivre ?
Puisque la Chambre restera probablement républicaine, intéressons-nous à la bataille du Sénat, précisément à neuf États-clés, avec Sarah Rosier.
- Floride : le républicain Marco Rubio, qui s’est représenté à la dernière minute, semble se diriger vers la victoire. Il est opposé au démocrate Patrick Murphy.
- Caroline du Nord : le républicain Richard Burr est face à la démocrate Deborah Ross. Un siège que le Grand Old Party pourrait conserver.
- Missouri, scrutin serré : le républicain Roy Blunt cherche à se faire réélire contre le démocrate Jason Kander. Les sondages donnent l’avantage à Blunt.
- Nevada, scrutin serré : le seul État-clé déjà tenu par un démocrate, Harry Reid, qui prend sa retraite. La démocrate Catherine Cortez Masto et le républicain Joe Heck sont au coude à coude.
- New Hampshire, scrutin serré : la républicaine Kelly Ayotte remet son siège en jeu contre la démocrate Maggy Hassan. C’est un État où les républicains pourraient pâtir de l'image de Trump.
- Indiana : le démocrate Evan Bayh défie le républicain Todd Young, avec un très léger avantage à ce dernier dans cet État où la course à la Maison Blanche est aussi très disputée.
- Pennsylvanie, scrutin serré : le républicain Pat Toomey, qui n’a pas soutenu officiellement Trump pour ne pas froisser une partie de l'électorat de cet État indécis ("swing state"), est opposé à la démocrate Katie McGinty. Avantage démocrate.
- Illinois : Mark Kirk, le républicain qui remet son siège en jeu, a pour rivale Tammy Duckworth, qui a fait une excellente campagne. C’est l’un des États où les démocrates sont confiants.
- Wisconsin : ici aussi, on s’attend à ce qu’un démocrate, Russ Feingold, décroche la victoire. Le républicain sortant Ron Johnson n’a pas été très populaire pendant son mandat.
En résumé, si l’Illinois et le Wisconsin semblent à portée de main des démocrates, il leur faudra remporter des courses très serrées dans deux ou trois autres États pour passer la barre des quatre ou cinq sièges nécessaires à la majorité.
4) Paul Ryan, chef de la Chambre des représentants, peut-il perdre son job ?
C’est possible. À la suite de la publication de la vidéo de Trump, Paul Ryan a déclaré qu’il cessait de faire campagne pour le milliardaire. Ce que n'a pas oublié l'aile droite républicaine (dont le groupe ultra-conservateur Freedom Caucus, à la Chambre des représentants). "Et si les républicains perdent des sièges, ce sera probablement dans les districts les plus modérés. Donc le nouveau caucus républicain à la Chambre devrait être encore plus conservateur, et le Freedom Caucus devrait avoir encore un peu plus d’influence", prédit Steven Smith. Le renouvellement du mandat de Paul Ryan à la tête de cette assemblée en janvier est donc loin d'être acquis même en cas de victoire de Trump. À moins que les élus ne trouvent un terrain d’entente.