Avec "Moi, Daniel Blake", couronné à Cannes, le cinéaste britannique Ken Loach signe une charge indignée contre une Angleterre cherchant à se débarrasser de ses laissés-pour-compte. Une Palme d’or qui manque cruellement de nuances.
Il avait dit qu’il s’arrêtait, il n’en a rien fait. Un an à peine après avoir annoncé son départ en retraite, Ken Loach a finalement décidé de repartir à la charge (anti-néolibérale) avec "Moi, Daniel Blake", drame social qui lui a permis de rejoindre, en mai 2016, le club fermé des détenteurs de deux Palmes d’or.
Après avoir donné dans la guillerette comédie sociale ("Looking for Eric", "La Part des anges") et le biopic historique ("Jimmy’s Hall"), le cinéaste britannique a certainement estimé qu’il devait taper une dernière fois du poing sur la table avant de se ranger des voitures. Car "Moi, Daniel Blake" est bien l’œuvre d’un homme en colère qui agit davantage en militant qu’en cinéaste.
Le film suit les déboires kafkaïens d’un menuisier en invalidité (Dave Jones) qui se bat contre la machine bureaucratique pour récupérer ses indemnités-chômage. Dans son parcours du combattant, le quinquagénaire fait la rencontre de Katie (Hayley Squires), mère célibataire de deux enfants sans le sous qu’il prend rapidement sous son aile. Nous sommes donc bien dans un Ken Loach, mais un Ken Loach à la dent particulièrement dure. Son 30e long-métrage (si nos comptes sont bons) est un réquisitoire en règle contre l’État britannique et ses insidieux stratagèmes administratifs pour dissuader les plus démunis de percevoir leurs aides sociales. C’est peu dire que le jury du dernier Festival de Cannes a décidé d’attribuer une "Palme politique". Mais politique, le film n’est que cela, d’où ses limites.
L'indignation sur un plateau
Sans reprocher à Ken Loach son combat contre les injustices sociales, on regrette que son engagement ait pris le pas sur ses ambitions cinématographiques. Comme si le cinéaste, aujourd’hui octogénaire, considérait le style comme une série d’effets de nature à gêner la bonne transmission de son message. "Moi, Daniel Blake" est loin d’être un film désagréable à regarder. Le récit suit son cours tranquille, oscillant entre pastilles humoristiques (Daniel qui ne sait pas utiliser un ordinateur, le voisin débonnaire qui se livrent à de petits trafics, le Chinois fan de football anglais…) et séquences poignantes au pathos de bon aloi (scène d’humiliation publique dans une banque alimentaire), avant de dire ses quatre vérités dans un final férocement dénonciateur, à la façon d'un "J'accuse".
Le plus problématique dans "Moi, Daniel Blake" reste son absence de nuances. Chez Loach, dont on ne peut douter de la sincérité de l'engagement, les laissés-pour-compte sont forcément sympas et solidaires quand les fonctionnaires du Pôle emploi britannique ne sont que des agents aussi froids que zélés du néo-libéralisme (seule une employée se montrera humaine, histoire de ne pas sombrer définitivement dans le manichéisme). Ken Loach et son fidèle scénariste Paul Laverty livrent l’indignation sur un plateau sans laisser au spectateur l’espace nécessaire à ses propres réflexions. Le Festival de Cannes 2016 méritait une Palme d’or plus subtile et moins univoque qu'un acte d’accusation dénué d’intentions artistiques.