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Une semaine pour démanteler la "jungle" de Calais

À partir de lundi matin, les quelque 7 000 migrants de la jungle de Calais vont être évacués du bidonville le plus connu de France. Ils seront répartis dans les différents centres d’accueil mis en place dans les régions.

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C’est une évacuation de grande ampleur, encore inédite en France. Lundi 24 octobre, au petit matin, les autorités françaises vont entamer le démantèlement de la "jungle" de Calais. Pendant une semaine environ, les quelque 7 000 migrants du plus connu des bidonvilles français seront enregistrés, puis répartis dans les différents centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France.

Passage du service de l’immigration

Les fonctionnaires des services de l’immigration (Ofii) parcourront le camp, dimanche 23 octobre, pour informer les occupants de l’imminence de l’évacuation, les informer de son déroulé et les convaincre de partir. Le travail sera long : le camp compte environ 6 400 migrants selon la préfecture, 8 100 selon des associations. Le même jour, Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, rencontrera "les chefs des communautés" (Afghans, Soudanais et Érythréens, principalement).

"Beaucoup de migrants ne sont pas au courant que le camp va être rasé dans les prochains jours", avance Gaël, un bénévole de l’association d’aide aux migrants, Utopia 56, joint par France 24. "Les informations sur le déroulé du démantèlement ont tardé à nous parvenir". Une affirmation que nuance Samuel Hanryon, responsable de la communication chez Médecins sans Frontières (MSF). "C’est vrai qu’il y a eu une arrivée tardive des informations [de la part du gouvernement]. Mais aujourd’hui, de plus en plus de migrants sont au courant que le départ est imminent. Ce [samedi] matin, je voyais des gens avec des valises sillonner les allées du camp."

Pour l’heure, c'est un mélange "d’incrédulité et de résignation" dans la "jungle". "Il y a ceux qui pensent demander l’asile en France et ceux qui veulent absolument passer en Angleterre, ceux-là posent beaucoup de questions sur les CAO", ajoute Samuel.

3 000 m2 de hangar, 145 bus, 280 centres d’accueil

Lundi 24 octobre, au lever du jour, l’évacuation débutera donc. Les migrants seront dirigés vers un hangar de 3 000 m2, à 300 m du camp. C’est là qu’ils seront enregistrés et répartis dans les 280 CAO mis en place dans les régions françaises. Quatre files sont prévues : une pour les hommes seuls majeurs, une pour les mineurs isolés, une pour les familles et les personnes vulnérables. Au guichet, chaque personne aura le choix entre deux destinations dans des régions différentes. En fonction de la zone choisie, un bracelet de couleur leur sera remis.

Lors de ce passage sous le hangar, aucun migrant ne sera soumis à un examen de sa situation administrative, a prévenu le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Ils seront ensuite conduits vers des autobus, en fonction de leur destination. Selon Le Monde, "les premiers autocars devraient quitter Calais tous les quarts d’heure à partir de 8 heures, afin que plus de 2 400 personnes quittent le bidonville dès le premier jour." Il est d'ores et déjà prévu que 60 cars prennent la route lundi, 45 mardi et 40 mercredi. Chacun de ces bus peut accueillir 50 migrants à son bord ainsi que deux accompagnateurs. L'opération doit pouvoir être bouclée en "une semaine", espère le gouvernement.

"Nous serons là pour aider les occupants pas les autorités"

Pendant toute la durée de l'évacuation, l'accès au camp sera réservé aux titulaires d'un badge, aux militants associatifs et aux journalistes qui pourront entrer et sortir. Dès mardi, des équipes de nettoyage équipées de tractopelles commenceront à enlever les cabanes, les tentes et les détritus.

"Nous ne serons pas là pour aider les autorités mais pour aider les occupants", précise Valérie, une des porte-parole d’Utopia 56. "Nous serons là pour répondre aux questions, pour aider à porter les sacs. Nous allons aussi distribuer des cartes de visite en anglais, arabe, amharique [langue parlée en Éthiopie], tigrinya [langue parlée en Érythrée], farsi [le persan], pachtou [langue parlée en Afghanistan et au Pakistan], sur lesquelles sera inscrit le contact Facebook de 'Info CAO Refugees'. Comme ça, ils sauront qu’ils peuvent nous contacter à cette adresse au moindre problème."

Un téléphone Utopia 56 "urgence pour les mineurs" sera également activé pendant les trois semaines qui suivront le démantèlement, à l’intention des réfugiés isolés de moins de 18 ans, indique-t-on dans un communiqué de l'association.

Les mineurs sans famille, qui seraient environ 1 300 selon France Terre d’Asile, ne quitteront pas Calais : ils seront hébergés provisoirement – pendant une ou deux semaines, en attendant que leur dossier soit instruit – dans deux structures en dur, le Centre d'accueil provisoire (CAP) et le Centre Jules Ferry.

Selon les autorités, il n'y aura pas d’interpellation ni "de contrainte sur les migrants" pour les obliger à monter dans les cars. Le gouvernement espère que tous les départs se feront sur la base du volontariat, mais ceux qui refuseraient de quitter le site s'exposeront toutefois "en dernier recours" à un placement en centre de rétention, souvent l'antichambre d'une expulsion.

Dispositif de sécurité

Près de 1 250 membres des forces de sécurité (policiers et gendarmes) seront mobilisées pour la réussite de l'opération et veilleront notamment à prévenir l'apparition de petits campements. Malgré les vives réserves de plusieurs ONG, les autorités espèrent que les associations coopéreront un minimum. Rien n’est moins sûr. "Nous ne sommes pas là pour filer un coup de main à la préfecture", affirme à son tour Gaël, le bénévole de Utopia 56.

Selon lui, l’ambiance est tendue depuis quelques jours. "Ces derniers soirs, on sentait en permanence l’odeur des gaz lacrymo. Il y a eu des heurts avec les CRS, les migrants commencent à réaliser que c’est leur dernière chance pour tenter le passage en Angleterre". Pour la première fois, des cocktails Molotov ont été lancés sur les forces de l'ordre dans la nuit du 19 au 20 octobre, ont indiqué des responsables de la sécurité à l’AFP.

"On s'attend à des nuits très compliquées", confesse une fonctionnaire de haut rang. L’évacuation de la jungle "est une opération à risque qui peut dégénérer, avec la nécessité de faire intervenir la force publique", a prévenu de son côté le ministère de l'Intérieur.

Samuel Hanryon de MSF, lui, s’inquiète surtout de l’après-démantèlement. "J’espère que des voies légales seront mises en place pour permettre à des milliers de migrants de passer en Grande-Bretagne. Si ce n’est pas le cas, le démantèlement du camp n’aura été que provisoire et une nouvelle jungle pourrait revoir le jour dans quelques temps."

Avec AFP