
Pour la première fois, la série de jeux vidéo Battlefield a pour théâtre la Première Guerre mondiale. Le nouveau volet intitulé Battlefield 1 nous transporte sur plusieurs fronts. Mais comment le jeu aborde-t-il la réalité historique ?
Trois ans après la sortie de son dernier épisode, la série Battlefield, l’un des poids lourd du jeu vidéo, revient ce 21 octobre avec un nouveau volet : Battlefield 1. Celui-ci se déroule pendant la Première Guerre mondiale et ce pour la première fois depuis la création de cette franchise en 2002. À la première personne, les joueurs vont pouvoir évoluer sur plusieurs fronts de ce conflit mondial.
Pour France 24, Julien Wera, directeur stratégique du studio suédois Dice, qui développe le jeu, revient sur la conception de cette superproduction et son rapport avec l’histoire. Pour les créateurs de Battlefield, c’est avant tout la jouabilité qui prime, même s’ils essayent de respecter autant que possible la réalité.
France 24 : Comment avez-vous travaillé sur l’aspect historique de Battlefield 1 qui se déroule au cours de la Première Guerre mondiale ?
Julien Wera : Nous sommes partis du principe qu’il s’agit d’un jeu d’action grand public. Nous avons d’abord conçu le gameplay (NDLR : l'essence du jeu qui cumule jouabilité et plaisir de jeu). La Première Guerre mondiale n’est finalement qu’un terreau qui nous a offert des outils. Mais nous avons fait beaucoup de recherches sur cette période, particulièrement au niveau des armes ou des véhicules qui ont été inventés à l’époque. Pour cela, nous avons collaboré avec des groupes de reconstitution, c'est-à-dire des personnes qui recréent des uniformes. Nous avons utilisé un procédé qui s’appelle le photoscanning. Il permet de faire des photos, à très haute résolution, des armes, des vêtements et de pouvoir les recréer pour le jeu. Nous avons aussi eu recours aux services de professionnels du cinéma, dont le métier est de recréer des armes. Il était plus simple de travailler avec ces passionnés, car c’est très difficile de collaborer avec les musées. On n’a pas l’autorisation de manipuler les objets.
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Est-ce qu’au cours de cette phase de recherches, vous avez toujours eu le souci de coller au plus près de la réalité historique ?
L’un de nos principes de développement est d’être authentique, sans être tout à fait réaliste. Tout ce qui est dans le jeu est inspiré du réel. Les armes par exemple ont existé, mais elles ne se comportent pas réellement comme à l’époque. Nous les avons adaptées pour qu’elles soient surtout compatible avec notre gameplay. Ce n'est pas une simulation historique, mais un jeu grand public. Nous avons aussi pris quelques libertés avec les lieux. Par exemple, l’une des cartes se déroule à Amiens, alors que l’on sait qu’il n’y a pas eu de combats dans la ville. Nous voulions faire une bataille dans un environnement urbain, car nous savons que c’est une expérience de jeu chère à nos joueurs. Dans la réalité, les Allemands ont été arrêtés à l’extérieur et repoussés, mais que se serait-il passé s’ils avaient poussé jusque dans la ville ?
Ne pensez-vous pas que cela va faire l’objet de critiques à la sortie du jeu ?
Il est vrai que nous prenons beaucoup de liberté historique, mais il y a toujours un souci du détail. Il est très important pour nous de traiter les choses avec le plus grand respect. Ce n’est pas notre rôle d’éduquer, mais nous avons déjà eu de nombreux retours positifs, que ce soit de la part d’historiens ou de personnes qui s’intéressent à la Première Guerre mondiale. Ils savent que notre jeu ne colle pas à la réalité, mais ils nous ont dit que depuis l’annonce de sa sortie, le nombre d'auditeurs de leurs podcasts et les ventes de leurs livres ont augmenté. Nous apportons en quelque sorte ce sujet au grand public et à un public jeune qui ne se serait pas forcément intéressé à cette période. Dans le jeu, il y a par exemple un élément qui s’appelle le Codex. Lorsque le joueur rencontre pour la première fois une armée ou un type de véhicules, il pourra lire un petit résumé sur le contexte historique. C’est une petite introduction, mais il pourra ensuite se renseigner sur la réalité historique. Par exemple, quelqu’un nous a envoyé récemment une lettre en nous disant "J’ai honte de l’avouer, mais je pensais que Lawrence d’Arabie était un personnage de fiction". (NDLR : Une extension du jeu va permettre de se mettre dans la peau du célèbre officier de liaison anglais) Cette personne a donc fait des recherches après avoir entendu parler de notre nouveau jeu et s’est rendue compte qu’il avait bien existé.
Est-ce que vous avez aussi choisi cette période pour combler un manque ? Il n’existe en effet aucun grand jeu vidéo sur la Première Guerre mondiale qui est pourtant une période très importante de notre histoire.
Tout à fait. Cela va même plus loin. Il n’y a même pas de films grands publics récents qui représentent cette période. C’est tout le contraire de la Seconde Guerre mondiale avec, par exemple, "Il faut sauver le soldat Ryan" ou "Band of Brothers". Hollywood a créé ce mythe de la Seconde Guerre mondiale. Les jeux vidéo qui sont arrivés ensuite ne se sont pas inspirés de l’histoire, mais de cette vision moderne du conflit. Pour la Première Guerre mondiale, cela n’existait même pas. C’est aussi pour cela qu’avant de faire l’annonce de la sortie du jeu, il y avait une certaine incertitude de notre côté. Nous ne savions pas comment il allait être reçu. Mais d’un autre côté, cela génère aussi de l’adrénaline car du coup nous sommes des pionniers sur cette période.
Dans la version qui sort le 21 octobre, les joueurs vont pouvoir évoluer sur cinq champs de bataille : Amiens et la Balafre de Saint-Quentin pour la France, Monte Grappa et la côte adriatique pour l'Italie et le désert du Sinaï. Pourquoi ce choix ?
Le premier critère est toujours le gameplay et le type d’expériences que nous voulons apporter aux joueurs. Nous avons pris le désert du Sinaï, car nous voulions une carte qui soit très grande et très ouverte. Pour Amiens, nous voulions une expérience de combats rapprochés dans un milieu urbain. Le deuxième critère est celui de la diversité des environnements. C’est vraiment quelque chose qui est dans l’ADN de notre franchise. La carte qui se déroule au Moyen-Orient va avoir un look graphique très différent de celle qui se déroule dans la zone de la Balafre de Saint-Quentin qui est très noir, dans la boue des tranchées.
Il y a quelques mois, vous avez suscité la polémique en annonçant qu’il n’y aurait pas de soldats français au lancement du jeu...
Les soldats français font partie de l’histoire dans la campagne solo du jeu, mais pas dans la partie multijoueurs. Nous avons fait ce choix au niveau de la production. Nous avons décidé de nous focaliser sur des histoires méconnues que nous trouvions intéressantes et qui ne sont pas forcément dans les livres. Nous voulions avoir une vision un peu différente de la Première Guerre mondiale. D’autre part, nous avons choisi de prendre plus de temps pour ajouter l’armée française et des batailles comme Verdun, après le lancement du jeu. La première extension sera complètement dédiée aux Français avec de nouveaux contenus et de nouvelles cartes.
Et vous, à titre personnel, qu’avez-vous appris sur cette période ?
Avant je m’intéressais à la Première Guerre mondiale, comme n’importe quel autre Français. Je savais que mon arrière-grand-père s’était battu durant la guerre. Mais durant mes recherches, j’ai trouvé toutes ces histoires absolument fantastiques et j’ai appris énormément. Il y a tellement d’impact sur ce qu’on vit aujourd’hui. Je pense au Moyen-Orient ou aux campagnes en Afrique qui sont passées sous silence de manière générale. J’aurais aimé raconter davantage d’histoires, tellement il y a de choses intéressantes. Ce qui est sûr, c’est que nous avons du contenu pour de nombreuses années à venir.