logo

Microsoft et le ministère français de la Défense, le contrat qui fait tache

Cela fait plusieurs années que des associations s'égosillent à en dénoncer les risques : depuis 2008, un contrat lie l'armée française à Microsoft. Là où le bât blesse, c'est que celui-ci est onéreux et ne ferme pas la porte aux risques d’espionnage.

Pas sûr que le grand public ait eu connaissance de l'affaire à l'époque, puisque seuls Next INpact, Mediapart, le Vinvinteur et Le Canard Enchaîné s'étaient emparés de la polémique. Jusqu'à la diffusion de l'émission "Cash Investigation" intitulée "Marchés publics : le grand dérapage", mardi 18 octobre sur France 2.

Un contrat "open bar"

Qualifié d'"open bar", le contrat entre Microsoft et le ministère de la Défense avait déjà été critiqué en 2008, puis en 2013 lorsqu'il avait été renégocié et reconduit. "La généralisation de tous les produits Microsoft à l'ensemble du SIC (ndlr, système d'information et de communication) entraînera une accoutumance de l'ensemble du personnel aux seuls produits Microsoft, renforçant son emprise sur le ministère", mettaient déjà en garde en 2008 des experts militaires chargés d'analyser le projet Microsoft. Dans un rapport (consultable ici), le groupe de travail donnait son avis sur une proposition du géant américain de centraliser les contrats passés avec l'armée française.

Problème majeur selon les rapporteurs : sans appel d'offres, le contrat ne respecte pas l'éthique des marchés publics. Car en l'absence de concurrent direct, l'omniprésence des produits Microsoft crée fatalement un "risque d'addiction", dénonçaient les experts.

L'industrie française du logiciel affaiblie

Windows, Internet Explorer, Word, Skype... Les produits Microsoft fleurissent sur les 200 000 ordinateurs de l'armée française. Or, comme le dénonce depuis plusieurs années l'April (l'organisation de promotion et de défense du logiciel libre), ce "monopole confirmé" de l'éditeur présente de nombreux "risques inhérents".

Par exemple, il met le ministère de la Défense "à la merci de la politique tarifaire" de Microsoft, comme on peut le lire dans le rapport d'experts mentionné plus haut. En effet, en cas de non-renouvellement du contrat, l'armée aurait à régler un "droit de sortie équivalent à 1,5 années de contrat". C'est cher payé, pour une situation qui suppose de toute façon une perte de souveraineté nationale. En attendant, le contrat entre le ministère de la Défense et Microsoft coûtera 120 millions d’euros à l’État pour la période 2013/2017. Il s'agit là d'une inflation considérable par rapport aux 82 millions dépensés sur la première période du contrat, de 2008 à 2013.

Pour ne rien arranger, la NSA, le service de renseignement américain chargé de l’espionnage des télécommunications, "introduit systématiquement des portes dérobées ou 'backdoors' dans les produits logiciels", alerte le rapport. De là à considérer que le système informatique de l’armée française serait donc "vulnérable car susceptible d’être victime d’une intrusion de la NSA dans sa totalité", il n'y a qu'un pas.

Question de sécurité

Par ailleurs, alors que "135 failles ont été découvertes dans les produits Microsoft en 2015", le ministère de la Défense "ne court-il pas des risques ?", s'enquiert la journaliste Élise Lucet dans l'émission de "Cash Investigation". "Ces 135 failles ne portent pas nécessairement toutes sur les logiciels qui font partie du contrat du ministère de la Défense. Et cette question de la sécurité est évidemment essentielle", explique Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, qui se veut rassurant. Sauf que rien ne prouve que le géant américain alerte bien le ministère à chaque faille détectée. "L'État français bénéficie des informations nécessaires à la sécurité de ses systèmes d'information", se contente de répondre Marc Mossé, qui ne veut "donner aucun détail" sur ces accords.

135 failles Microsoft l'année dernière

Pourtant, le cas italien aurait pu inspirer la France. Car pendant que le ministère français de la Défense a recours aux produits Microsoft, son homologue italienne, elle, a choisi les logiciels libres. "C'est aussi un choix moral  [...]  Au final, les logiciels libres améliorent l'efficacité de nos systèmes informatiques", argue Claudio Graziano, le chef d'état-major des armées italiennes.

"La sécurité des logiciels libres est supérieure à celle de Microsoft", explique le général Camillo Sileo, directeur du département informatique et responsable de la migration de Microsoft vers les logiciels libres. Et c'est sans compter les dépenses qu'un basculement vers le libre permet d'éviter. En s'alliant à Microsoft, le ministère de la Défense a peut-être bien perdu, en plus de son indépendance, une occasion de faire des économies.

Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.