Avec le lancement de la bataille de Mossoul, l’ONU s’attend à un déplacement massif de populations fuyant les combats d’ici à une semaine. Plusieurs ONG présentes dans la région s’alarment du risque d’une crise humanitaire.
La bataille pour la reconquête de Mossoul va-t-elle s’accompagner d’un désastre humanitaire ? C’est ce que l’ONU et de nombreuses ONG présentes sur place, notamment au Kurdistan irakien voisin, craignent. Environ 1,5 million de personnes vivent encore dans la deuxième ville d’Irak et vont être poussées à fuir les bombardements et les combats.
"Les familles sont exposées à un risque extrême d'être prises entre deux feux ou pour cibles par des snipers", a ainsi mis en garde lundi 17 octobre le secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires humanitaires, Stephen O'Brien.
Craignant pour le sort de 500 000 enfants, l'ONG Save the Children a exhorté les belligérants à "ouvrir des couloirs sécurisés" pour que les civils puissent fuir et ne pas rester piégés "sous les bombes, dans une ville pleine de mines et d'explosifs, en manquant de nourriture et de soins médicaux".
"Depuis de long mois nous préparons les conséquences de cette offensive avec l’ONU et les autres ONG présentes", explique à France 24 Adrien Tomarchio, porte-parole d’ACTED, organisation humanitaire présente à Erbil. "Pour l’instant, six camps ont été construits et onze sont en train de l’être. En tout, 220 000 personnes environ pourront être accueillies", poursuit-il, expliquant que l’action d’ACTED commence dans un premier temps directement derrière les lignes de front où vivres et eau sont distribuées aux déplacés avant de les orienter vers des camps.
Préparatifs insuffisants et manque de financement
Mais ces mesures seront-elles suffisantes au vu du nombre de déplacés attendus ? Rien n’est moins sûr selon l’ONU. "Nous faisons tout notre possible pour que toutes les mesures soient prises dans le cas du pire scénario humanitaire. Mais nous craignons qu'il y ait encore beaucoup à faire", admettait avant l'offensive Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l'ONU pour l'Irak. "Dans le pire des cas, nous allons littéralement vers la plus grande opération humanitaire dans le monde en 2016." Selon l'ONU, un million de personnes pourraient être déplacées en quelques semaines.
S’exprimant sur le plateau de France 24, Nina Walsh, coordinatrice réactivité et crise à Amnesty International, fait le même constat. "Les humanitaires, les gouvernements irakiens et kurdes sont en ce moment-même en train de construire des camps mais cela ne suffira pas. Il faut plus de camps et plus de mesures pour protéger ces populations car dans quelques semaines, il y aura déjà 200 000 personnes sur les routes", explique-t-elle, pointant le manque de financement malgré l'ampleur massive de l'opération humanitaire nécessaire. Sur les quelque 367 millions de dollars (334 millions d'euros) requis, moins de la moitié a été fournie par les bailleurs de fonds.
De son côté, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé qu'elle allait construire des "sites d'urgence" qui fourniront un abri et des services de base pour 200 000 personnes, précisant toutefois également qu'elle avait besoin de davantage de fonds.
Risques d’exactions commises par les milices et l’armée irakienne
Outre la question de l’accueil matériel des déplacés avec l’hiver qui commence, se pose également celle du sort qui leur sera réservé par les belligérants. Alors que l’on sait qu’ils pourraient devenir des boucliers humains pour les jihadistes de l’EI acculés qui entourent les quartiers civils de bombes, Amnesty International évoque également les exactions que pourraient commettre des milices chiites et même l’armée irakienne en guise de représailles.
Dans un rapport publié mardi 18 octobre, l'organisation de défense des droits de l'Homme s'appuie notamment sur les témoignages de quelque 470 anciens détenus, témoins ou proches de victimes de ces abus. "Lors des opérations précédentes de reprise de villes, comme Falloujah par exemple, on a recensé des actes de tortures, d’exécutions, de disparitions forcées commis par les milices chiites ou même par les forces irakiennes", explique Nina Walsh, d'Amnesty International.
Amnesty rapporte par exemple le cas de 12 hommes et quatre garçons de la tribu des Jumaila sommairement exécutés alors qu'ils fuyaient les combats à Falloujah, un bastion jihadiste repris en juin. L’ONG dénonce également le mécanisme de contrôle des civils fuyant les zones aux mains de l'EI, qui a conduit certaines personnes à être "détenues pendant des semaines ou des mois dans des conditions horribles".
"C’était une sorte de vengeance pour ce qu’ils considéraient comme des actes de collaboration avec l’EI, or là ces exactions pourraient se répéter à une échelle beaucoup plus grande puisqu’on parle d’un million de personnes qui vont tenter de fuir la ville", s’inquiète-t-elle, appelant le gouvernement irakien à prendre des mesures très concrètes pour contrôler les milices chiites et surtout mener des enquêtes, si possible indépendantes et internationales.
Sur les trois grandes villes irakiennes reprises à l'EI, seule Falloujah avait une population comparable à celle de Mossoul. L'opération militaire avait provoqué un exode massif de sa population, des dizaines de milliers de civils se trouvant déplacés ou entassés dans des camps surpeuplés.