Film garanti sans gluten, "Captain Fantastic" de l’Américain Matt Ross suit les déboires d’une famille de néo-hippies vivant coupés du monde. Une "fable écolo" sirupeuse qui réduit le besoin d’utopie à un chapelet de niaiseries anti-système. Gênant.
Il faut toujours se méfier des fables. Au cinéma plus qu’ailleurs où le terme relève davantage de l’argument marketing que du genre en tant que tel. Aller voir une "fable" sur grand écran, c’est la garantie d’aller voir un film empreint de poésie dont l’incroyable puissance d’évocation agit comme un miroir de notre société. Si la fable en question aborde une thématique dans l’air du temps - à tout hasard l’écologie - et qu’elle fut en outre le "coup de cœur" du dernier Festival de Cannes, de Sundance et de Deauville, alors c’est jackpot.
C’est drapé de ces frusques commerciales que "Captain Fantastic" débarque, mercredi 12 octobre, dans les salles françaises. L’histoire, il est vrai, à tout pour plaire. Un père (Viggo Mortensen) et ses six enfants vivent en autarcie dans une forêt du nord-ouest des États-Unis, où ils apprennent à vivre hors du bruit et de la fureur de la société de consommation. Mais le décès de la mère, qui, pour des raisons de santé, avait quitté depuis peu le petit "paradis" familial, contraint la joyeuse troupe à renouer avec la civilisation.
Le réalisateur Matt Ross dit s’être inspiré de sa propre enfance pour dresser le portrait de cette "fantastique" communauté. L’expérience dut s’avérer traumatisante tant le quotidien qu’il décrit confine au sacerdoce altermondialiste. Pour résumer l’état d’esprit qui anime ces Robinsons modernes, disons qu’ils chassent et cultivent eux-mêmes ce qu’ils mangent, qu’ils lisent des essais de philosophie politique hyper pointu, qu’ils s’éclairent à la bougie et qu’ils ne fêtent pas Noël - ce grand Satan mercantile -, mais l’anniversaire de Noam Chomsky, héraut de la contestation aux États-Unis érigé ici en grand gourou de la pensée en carton pâte.
Les enfants ont des prénoms que personne ne porte "car ils sont uniques" (mentions spéciales à Kielyr et Vespyr), ils ignorent tout de la musique pop, des chaussures Nike ("Nike, comme la déesse grecque de la victoire ?") et de Star Treck mais parlent quatre langues, dont l’espéranto (oui, l’espéranto), et se livrent d’un claquement de doigt à l’exégèse de la Constitution américaine, contrairement à leurs congénères "scolarisés" qui peuvent à peine en réciter les premiers amendements. C’est totalement invraisemblable. Mais c’est une fable, nous dit-on.
"Fantastic" mais pas subtil
Évidemment, si Matt Ross grossit tellement le trait c’est pour pointer les contradictions de ce père au discours satisfait et à l’autoritarisme de petit révolutionnaire. Problème, le film semble constamment se complaire dans la caricature. À l’une de ses filles qui – on pouffe de rire – lui demande ce qu’est du Coca-Cola, le fantastique papa répond que "c’est du poison". Autre sortie du paternel professée doctement : "En France, les parents donnent du vin à boire à leurs enfants." C’est une blague ? Et bien, non. La subtilité n’est pas l’affaire de "Captain Fantastic". Tout est appuyé dans le film, surligné, illustré à l’écran. Les moments dramatiques comme les séquences censément humoristiques (dont le ressort unique repose sur la confrontation des enfants avec le monde "civilisé", à la manière des "Dieux sont tombés sur la tête").
La constante niaiserie des propos entendus durant les près de deux heures du film donnerait envie de devenir un indécrottable conservateur. Et c’est là que le bât blesse. "Captain Fantastic" ne serait qu’une inoffensive bluette écologiste s’il ne réduisait pas les idéaux de la gauche anti-capitaliste à un ridicule et irresponsable radicalisme. De la fin des utopies du siècle dernier, de la responsabilité parentale d’imposer un style de vie à sa progéniture, du désir d’émancipation des enfants, Matt Ross ne dit presque rien. Tout juste se contente-t-il, aux détours d’une tentative de kidnapping virant au fiasco, de démontrer au papa qu’il est allé un peu trop loin dans son délire alternatif.
La leçon a été reçue qui donne lieu à un épilogue bon enfant où chacun y trouve son compte sans perturber l’ordre établi. Aux rêves contrariés de monde meilleur "Captain Fantastic" n’a pour proposition qu’une utopie light pour babas cool "intégrés" dont l’acte de résistance consiste à se déplacer en vélo et à manger bio. Triste fable.