Récit d’apprentissage aussi sombre que musclé, "Mercenaire" suit le passage à l’âge adulte d’un jeune de Wallis-et-Futuna débarquant en France métropolitaine pour tenter de percer comme rugbyman. Essai transformé pour le réalisateur Sacha Wolff.
Il est d’usage que les journalistes sportifs filent la métaphore guerrière pour commenter ce qui se passe sur un terrain de rugby. On ignorait toutefois que l’ovalie poussait elle-même la comparaison jusqu’à désigner certains de ses joueurs comme des mercenaires. Soane fait partie de ceux-là. De ces jeunes adultes taillés comme des GI à qui les clubs français – professionnels ou semi-professionnels – font appel pour renforcer leurs effectifs.
Soane a 19 ans lorsqu’un recruteur véreux le persuade de quitter son Wallis-et-Futuna natal pour rejoindre la métropole où, lui dit-on, l’attend une carrière de rugbyman. Mais, dans l’esprit insulaire, partir, c’est mourir un peu. Aux yeux de son père, alcoolique et violent, c’est même mourir tout court. "Si tu abandonnes les tiens alors tu n’es plus des nôtres", lui assène-il à l’occasion d’une "cérémonie d’adieux" censée acter, selon les coutumes océaniennes, la "mort" du fils quittant le foyer familial.
De ces rites symboliques qui marquent, dans la vie d’un homme, le passage d’un âge à l’autre, "Mercenaire" regorge. Parce que son père lui a interdit d’emmener ses affaires avec lui, Soane débarque en métropole sans bagage, uniquement vêtu d’un short et d’un t-shirt. C’est donc comme nu qu’il entame sa nouvelle vie, à quelque 16 500 kilomètres du lieu qui l’a vu naître la première fois.
La force contenue du film de Sacha Wolff, jeune réalisateur français qui a fait ses armes dans le documentaire avant de se frotter à la fiction, réside dans ces scènes qui disent beaucoup en montrant peu. Comme cette courte séquence comique (il y en a peu) où Soane, 1,85 m pour 110 kilos, casse un lit format enfant en s’asseyant dessus. Encore garçon dans sa tête, le jeune homme s’accommode mal de son corps de guerrier.
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Racisme ordinaire et "bonbons magiques"
C’est avec une âme d’enfant mal dans sa peau que le héros affronte les obstacles et les humiliations. Devenu pilier d’un petit club amateur, Soane se retrouve acculé sur des fronts qui dépassent les limites du terrain : le racisme ordinaire dans la France des clochers ("Hey l’aborigène, tu nous fais un haka ?"), l’exploitation peu scrupuleuse d’une "main d’œuvre étrangère" par des dirigeants de club paternalistes, le dopage aux "bonbons magiques" qui accélère anormalement le développement musculaire (la transformation physique de Soane est telle qu’elle semble se dérouler en direct sous nos yeux), l’apprentissage des codes amoureux, la réapparition des fantômes du passé…
Tout cela engendre un cycle de violences dans lequel Soane semble voué à se débattre ad vitam aeternam. Le peu de foi que le cinéaste paraît porter en l’espèce humaine laisse craindre, un temps, un film sombre à l’excès, qui prendrait un plaisir malsain à n’offrir aucune porte de sortie à son héros. Tel un match de rugby, "Mercenaire" finit toutefois par rebondir.
Le point de bascule salvateur interviendra dans un vestiaire. Malmené sur la pelouse, Soane profite de la mi-temps pour entamer un chant maori survolté – le fameux haka – qui sonne sa révolte. La scène est vibrante. Dès lors plus rien ne sera comme avant. Conscient d’avoir atteint l’âge de sa corpulence, Soane part demander réparation auprès de ceux qui l’ont lésé. Moins par vengeance que par affirmation de soi. De ce nouveau soi né de l’invocation des forces ancestrales. C’est toute l’intelligence de "Mercenaire" que d’aller puiser la puissance spirituelle des rites tribaux au-delà du folklore fleurant bon l’exposition coloniale. Justesse que l’on doit, en partie, aux comédiens non professionnels. Et à la maîtrise de celui qui les a dirigés, Sacha Wolff, qui signe ici son entrée dans le club des jeunes cinéastes français à suivre.