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Phobie, rééducation, paraplégie : quand la réalité virtuelle se veut thérapeutique

Après les jeux vidéo et films immersifs, la réalité virtuelle s'invite dans le secteur médical. Lutter contre les phobies, soigner les addictions, rééduquer les patients paraplégiques ou ayant souffert d'un AVC... Les possibilités sont multiples.

Alors que l'Oculus Rift, le HTC Vive, le Samsung Gear et le Playstation VR envahissent cette année nos salons ou s'apprêtent à le faire, la réalité virtuelle est déjà mise à contribution dans le milieu médical.

Car au-delà de ses fantastiques potentialités en matière de jeux vidéo ou de films immersifs, la réalité virtuelle présente aussi des vertus thérapeutiques. Les psychiatres s'en servent déjà pour aider leurs patients à combattre phobies et addictions. Elle peut être utilisée dans la rééducation de patients ayant des séquelles liées à un accident cardiovasculaire. Bientôt, il se pourrait même qu'elle aide les paraplégiques à recouvrer l'usage de leurs membres supérieurs. Tour d'horizon non-exhaustif des possibilités qu'offre la VR en matière de thérapie.

La rééducation consécutive aux AVC

L'aphasie est un trouble du langage qui affecte environ un tiers des patients ayant survécu à un accident cardio-vasculaire (AVC). Or, une étude publiée mi-août par des chercheurs de la City University de Londres a prouvé que l'usage de la réalité virtuelle constituait une manière efficace de traiter ce syndrome.

Les scientifiques de l'étude ont reconstitué dans leur logiciel appelé Eva Park plusieurs environnements tels que des restaurants ou un parc. L'idée est de permettre aux patients de réapprendre à tenir une conversation ou encore à commander son repas. Après 40 heures de rééducation à la parole étalées sur cinq semaines, 88 % des patients ayant eu recours au logiciel avaient effectué des progrès significatifs de communication fonctionnelle.

La réalité virtuelle permet à la fois de coupler la rééducation cognitive et la rééducation motrice

En France, la fondation Hopale s'intéresse à ces problématiques. Depuis plusieurs années, elle mène des recherches visant à "la production et au développement de jeux sérieux" afin d'aider les patients post-AVC. Et la réalité virtuelle fait partie depuis longtemps des pistes étudiées.

"L'avantage de la réalité virtuelle, c'est qu'elle permet à la fois de coupler la rééducation cognitive et la rééducation motrice", explique à Mashable FR Stéphane Bouilland, ingénieur chargé de mission de la fondation Hopale, qui a supervisé différents projets de recherche sur la rééducation. "Bien souvent, les neuropsychologues travaillent le cognitif, tandis que les ergothérapeutes et les kinés travaillent le moteur. La réalité virtuelle, c'est la possibilité de travailler les deux en même temps."

Le premier projet du centre Calvé de la fondation Hopale sur le sujet s'appelait Reactive et s'intéressait principalement à la rééducation des membres supérieurs et de l'équilibre général : "On avait un charriot de supermarché avec retour haptique [avec un véritable retour de force de la part des périphériques]. Au fur et à mesure que l'on plaçait les produits dedans, il devenait de plus en plus lourd, et difficile à manier. Il simulait aussi les chocs avec les rayons en cas d'écart."

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Le développement se passe bien mais au bout, c'est la déception : "À la fin, on n'a pas trouvé d'entreprise assez intéressée pour investir. Reactive est resté un projet de labo."

Malgré tout, la fondation Hopale reste convaincue des bienfaits de la réalité virtuelle en matière de rééducation : "Cette technologie offre la possibilité de mettre les patients dans des situations auxquelles il est difficile de les confronter autrement", explique Stéphane Bouilland. Et de prendre l'exemple du supermarché : "Il faudrait réserver un transport, négocier en amont avec le gérant, mobiliser du personnel soignant... Et ça resterait quand même dangereux pour le patient."

Avec son projet suivant, Shiva, la fondation Hopale va passer à du matériel plus grand public en basant ses recherches sur la Kinect de Microsoft et le moteur graphique Unity, pour éviter les soucis de maintenance et garantir la pérennité du travail effectué. "Le nouveau projet est plus orienté vers le cognitif : on présente au patient des objets coupés en rondelles et il doit les reconstituer sur un axe pour leur redonner leur forme initiale", détaille Stéphane Bouilland. "Il y a toute une librairie d'objets et d'environnements plus ou moins complexes pour obliger le patient à se concentrer."

Dans un même temps, la fondation lance sur fonds propres un projet similaire, Rehab Games : une série de "serious games" visant à la rééducation en exploitant la technologie de la Kinect. Devant la caméra Kinect, le patient attrape alors des ballons ou cueille des pommes pour récupérer des fonctions motrices. "Évidemment, tout dépend de ce qu'on appelle réalité virtuelle. Mais dans ce cas précis, même si on n'utilise pas le casque, c'est le même principe et les mêmes logiciels."

Mais peut-on dire que cette méthode est plus efficace que la rééducation traditionnelle ? Selon Stéphane Bouilland, rien ne permet de l'affirmer : d'une part, aucune étude n'a été menée. D'autre part, une telle vérification serait très difficile à mettre en place. Néanmoins, des études ont montré que les acquis des patients dans l'univers virtuel sont transférés dans le réel. "La réalité virtuelle reste cependant un outil parmi d'autres à disposition du thérapeute et ne saurait convenir à tous les patients", note Stéphane Bouilland.

Un espoir pour les paraplégiques 

Les patients ayant souffert d'AVC ne sont pas les seuls à pouvoir regarder en direction de la réalité virtuelle dans l'espoir d'une thérapie. Une publication du 11 août dernier dans la revue américaine Scientific Reports a apporté de grands espoirs aux paraplégiques.

D'après ses auteurs, des personnes paralysées depuis plusieurs années ont retrouvé des sensations et le contrôle partiel de leurs jambes après une thérapie innovante basée sur la réalité virtuelle : "Jusqu’à présent, personne n’avait observé la récupération de ces fonctions chez un patient tant d’années après un diagnostic de paralysie complète", a indiqué le Dr Miguel Nicolelis, directeur de l’étude.

Le magazine américain Quartz s'était fait l'écho de ces résultats. Au total, huit paraplégiques ont participé à l'étude. Chacun fut branché à une interface cerveau-machine et équipé d'un casque à électrodes permettant à l'ordinateur d'analyser ce qui se passait dans leur tête. Ces derniers furent immergés dans une réalité virtuelle et durent s'imaginer en train de marcher. Grâce à la VR, le cerveau a envoyé des signaux à l'ordinateur qui lui-même a servi de relais à la moelle épinière abîmée pour transmettre les signaux aux jambes.

Après un an de traitement, les scientifiques ont constaté que certains nerfs de la moelle épinière s'étaient réactivés grâce à ces simulations avec des résultats très encourageants chez les patients. Quatre ont alors vu leur paraplégie requalifiée de "totale" à "partielle". Huit mois plus tard, le même progrès était constaté chez trois patients supplémentaires.

Si la recherche dans le domaine n'en est qu'à ses balbutiements, ses premiers résultats sont encourageants et devraient donner des espoirs à bien des personnes aujourd'hui en fauteuil.

La VR pour lutter contre les phobies

Les maux que traite la réalité virtuelle ne sont cependant pas que physique. Une grande bibliothèque, deux chaises, deux fauteuils pour échanger de psy à patient : le cabinet de Rodolphe Oppenheimer à Clichy, dans les Hauts-de-Seine, ressemble à n'importe quel autre bureau de psychanalyste. Pourtant, pour traiter ses patients souffrants de phobies, le praticien indépendant n'hésite pas à recourir à la réalité virtuelle.

Équipé d'un Samsung Gear et d'un Oculus Rift, il propose à sa patientèle d'entrer dans des simulations mettant en scène leurs plus grandes peurs : voyage en métro, décollage d'un avion, insectes qui s'approchent... Puis il les accompagne pour maîtriser cette panique qui se saisit d'eux.

Le problème de la réalité, c'est qu'elle est brutale

La réalité virtuelle ajoute une étape intermédiaire entre la mise en condition et la confrontation au réel : une simulation de l'environnement sujet aux phobies par l'intermédiaire du casque.

Rodolphe Oppenheimer co-écrit actuellement un livre à ce sujet avec le docteur Éric Malbos, psychiatre marseillais et spécialiste français de la thérapie par réalité virtuelle. Ce dernier insiste sur l'importance de l'accompagnement, qui fait la force de cette pratique. "Le thérapeute reste à côté du patient dont une part de lui-même sait que ce n'est pas réel. Cela lui permet d'avoir le courage d'affronter la situation", explique le médecin à Mashable FR.

La VR permet aussi de contourner des problèmes des thérapies plus classiques : "Tout le monde n'a pas forcément l'imagination pour concevoir une situation anxiogène de façon suffisamment intense pour pouvoir travailler. Et le problème de la réalité, c'est qu'elle est brutale, même si elle permet de créer une étape intermédiaire. Par ailleurs, il est difficile pour un thérapeute d'accompagner son patient dans l'avion, le métro, la voiture..."

Une thérapie se déroule en plusieurs séances, expliquent les deux praticiens. Les 4 ou 5 premières permettent d'apprendre les bonnes méthodes au patient : comment réagir face à l'angoisse, comment maîtriser son corps et ses émotions... Puis vient le moment de passer dans le monde virtuel. Le patient est alors plongé dans un environnement qui lui est anxiogène. "Il faut qu'il reste exposé à cet environnement au moins 20 minutes", affirme Rodolphe Oppenheimer. "En deçà, le remplacement du processus cognitif ne se fait pas. Il doit progresser comme ça, petit à petit."

"C'est comme avec l'hypnose, on n'hypnotise pas quelqu'un malgré lui"

Cependant, cette thérapie d'un nouveau genre ne convient pas à tout le monde : "Certaines personnes me disent que ce sont des gadgets, que ça sert à rien", déplore Rodolphe Oppenheimer. "Déjà, on ne peut pas les forcer et de toute façon, si quelqu'un n'y croit pas, ça ne marche pas. C'est comme avec l'hypnose, on n'hypnotise pas quelqu'un malgré lui."

Du côté de la profession, l'arrivée de cette nouvelle technologie pour appuyer la thérapie a aussi rencontré quelques sceptiques. "'Ce n'est pas bon pour nos affaires" ou encore, "on ne va pas les garder longtemps nos patients", a pu entendre le praticien. Des déclarations qui le scandalisent : "Comme si guérir quelqu'un était un manque à gagner." D'autres confrères de Rodolphe Oppenheimer s'inquiètent du côté "gadget" des casques de réalité virtuelle : "Encore une fois, il faut en voir le côté pratique. Quels praticiens seraient prêt à prendre l'avion avec son patient pour l'aider ?"

Pour Eric Malbos, ces inquiétudes relèvent davantage d'une peur de l'inconnu : "C'est le même phénomène que pour les jeux vidéo, des gens ne sont tout simplement pas nés avec. Ils craignent un aspect technique trop poussé."

Pour le moment, relativement peu de praticiens qui l'utilisent pour une raison simple, rappelle Rodolphe Oppenheimer : "Le matériel n'est que très peu disponible." Mais le psychanalyste reste optimiste : "Je lui donne deux ans pour que la technologie se démocratise."

La réalité virtuelle contre les addictions 

La nouvelle technologie pourrait aussi présenter un intérêt pour une plus large population : nous aider à arrêter de fumer. En effet, le docteur Eric Malbos utilise ces dispositifs pour aider ses patients à lutter contre leurs addictions. Le processus est globalement le même que pour les phobies : "Le problème avec les addictions, ce n'est pas d'arrêter mais de ne pas rechuter. 80 % des personnes qui se sont arrêtées de fumer rechutent", détaille le psychiatre marseillais.

Exit les araignées géantes et les métros anxiogènes, place à des situations de la vie quotidienne qui pourraient motiver une rechute de l'arrêt du tabac : "En général, les fumeurs vont fumer au restaurant, dans un bar, sur la plage, chez eux, en attendant le bus... Toutes ces situations ont été recréées en réalité virtuelle", explique le Dr. Malbos. "Lorsqu'on lance la simulation, le patient arrive dans un restaurant et des avatars viennent proposer de s'en griller une. Forcément, le patient est stimulé."

Le rôle du thérapeute est alors le même que dans la lutte contre les phobies. Après avoir appris au sujet les techniques pour s'apaiser, il va l'aider à les appliquer au bon moment et de la bonne façon. "Le but, c'est de lui quitter l'envie de replonger dans son addiction en lui donnant les méthodes qu'il pourra ensuite appliquer dans la réalité."

Loin de s'arrêter à la lutte contre les addictions et les phobies, le docteur Eric Malbos est un ardent défenseur de la réalité virtuelle. Il y voit une véritable révolution sociétale : "Les gens vont pouvoir se traiter à domicile, auront un thérapeute à portée de casque. Ils vont pouvoir vivre d'extraordinaires aventures avec les jeux vidéo et vont bénéficier d'un système éducatif beaucoup plus avancé en vivant les contenus des cours qu'ils vont suivre. Ce nouveau média va bouleverser notre société."

L'enthousiasme d'Éric Malbos n'est pas un cas isolé. Tous les thérapeutes que Mashable FR a interrogé ont exprimé une même conviction : la collaboration entre réalité virtuelle et médecine fait ses premiers pas. Et la sortie des matériels grand public cette année devrait accélérer le mouvement. Avec la standardisation des appareils disponibles, la recherche sera simplifiée et les initiatives visant à exploiter les possibilités ouvertes par cette technologie vont se multiplier.

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