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Shopian, Cachemire, Inde – Au Cachemire, depuis l'assassinat de plusieurs jeunes musulmanes, leurs familles accusent des membres des forces de sécurité indiennes de les avoir enlevées, violées et tuées. De violentes manifestations s'en sont suivies.

Depuis trois semaines, les femmes de Shopian sont des centaines à manifester dans la rue. Elles demandent "justice" et crient vengeance : le 30 mai dernier, on a retrouvé a Shopian le cadavre de deux femmes qui avaient été violées. Neelofar avait 22 ans, Asiya 16 ans. Shopian est une petite ville du sud du Cachemire, dans le nord de l’Inde, ou les tensions séparatistes sont vives.

Dans la foule musulmane la pluspart des manifestantes sont en burqa. L'une d'entre elles s'écrie : "Trouvez les coupables et pendez-les !". "Oui pendez-les, pendez ceux qui ont souillé notre honneur", surenchérit une femme à visage découvert. "Nous sommes prêtes à protester pendant des années tant que notre honneur n’aura pas été lavé".

Les hommes aussi sont en colère. Tous les commercants de Shopian se sont mis en grève, une grève ininterrompue depuis plus de trois semaines.

Car pour les habitants de la ville, les assassins ne peuvent être que des militaires ou policiers indiens. Dans la partie indienne du Cachemire, ils sont près de 800 000, une présence militaire qui entrave le quotidien des habitants, en grande majorité musulmans.

La population a constitué un comité, le Mujlis-e-Mushawart de Shopian, pour pousser le gouvernement indien à trouver et juger les coupables. Les habitants de Shopian continueront à faire grève et à manifester tant que le gouvernement ne leur aura pas rendu justice. "Ceux qui ont fait ça portent des uniformes. Autrement les autorités n’auraient pas tenté d’étouffer l’affaire", soutient Mohammed Shafi Khan, le porte-parole du mouvement.

La police indienne a en effet d’abord déclaré que les deux femmes s’étaient noyées. Une version qui n’a pas convaincu Shakeel Ahmed Ahangar, le mari de Neelofar, l’une de deux victimes. Shakeel est aussi le frère de la seconde victime, Asiya. Il est donc doublement concerné. A 6h du matin, le 30 mai 2009, il avait retrouvé le corps de sa femme sur un rocher, le long d'une petite riviere. Il avait cherché en vain toute la nuit avec ses frères et des amis mais c'est finalement la police indienne qui lui avait indiqué ou se trouvait le corps.

La famille de Shakeel n'a jamais cru a la thèse de la noyade. "L'eau est très peu profonde. Personne ne peut se noyer dans le torrent, même pas un petit enfant", affirme Manzoor Ahmed Ahangar, le frère de Shakeel, lorsqu'ils reviennent sur les lieux. "Elle était étendue, ses habits a moitié enlevés et déchirés sur les cotés. Il y avait des marques sur sa gorge et de l’écume sur ses lèvres", affirme Shakeel, tres ému.

Un premier rapport d'autopsie, ainsi que les premières conclusions de la police, avaient conclu a une noyade des deux femmes. Mais pour tous les habitants de Shopian les docteurs ont été influencés par les policiers. Aujourd'hui le commissaire de Shopian a été muté. "Un transfert tout à fait normal, de routine" affirme son successeur.

La zone où les corps ont été trouvés n'a pas ete sécurisée, aucune empreinte n'a été relevée, aucune enquête criminelle n'a été ouverte pendant la premiere semaine. Aujourd'hui plusieurs enquêtes sont en cours. Et début juin, sous la pression populaire, une deuxième autopsie a été ordonnée. Elle a finalement conclu que Neelofar et Asiya avaient été violées avant de mourir. Une victoire pour les habitants de Shopian.

S'ils soupçonnent les militaires, c'est surtout parce que les corps ont été retrouvés à proximité de plusieurs camps de l’armée indienne. "Dans une zone où, la nuit, on ne peut accéder sans être controlé par la police ou l'armée indienne", explique Shakeel.

Le fait divers, un double crime, a mis le feu aux poudres au Cachemire administré par l'Inde. Depuis, des affrontements entre des musulmans et l’armée indienne ont éclaté dans toute la vallée de Srinagar, la capitale de l'Etat : émeutes, jets de pierre... Dans de nombreuses villes des jeunes musulmans défient la police. Ils demandent le départ des militaires indiens et l'indépendance du Cachemire. Il y a eu deux morts et des centaines de blessés.

Cette situation affaiblit la Conférence Nationale, le parti au pouvoir, proche du gouvernement indien. Il avait remporté les élections il y a 6 mois, dans un climat de calme relatif. Le jeune gouverneur du Cachemire, Omar Abdullah, a d'abord lui aussi soutenu la thèse de la noyade, avant de se désavouer quelques jours plus tard. Shabir Ahmed Kulay, le président de la Conférence Nationale de Shopian, estime qu'il faut laisser du temps a l'enquête criminelle et ne pas politiser cette affaire. Il reproche aux séparatistes cachemiris d'instrumentaliser l'affaire en jouant sur le ressentiment des musulmans du Cachemire envers l'armée indienne. "En fait cette colère est dirigée contre l’occupation indienne. Dès qu’il se passe quelque chose au Cachemire on s’en prend à l’Inde. Lorsqu’on voit les gens dans la rue, les manifestations, ils ne demandent pas uniquement les coupables, ils exigent aussi l’indépendance du Cachemire", explique Shabir Ahmed Kulay.

L’Inde et le Pakistan se disputent le Cachemire depuis 1947. L'ancien royaume est divisé en deux. Une partie administrée par le Pakistan, l'autre par l'Inde. Dans la partie indienne, les émeutes sont fréquentes. Les séparatistes musulmans exigent soit le rattachement au Pakistan, soit l'independance.


Au mois de juin, il fait normalement tres beau au Cachemire. Pourtant, depuis trois semaines, il ne cesse de pleuvoir sur Shopian. Les habitants de la ville disent que "le ciel pleure la mort des deux jeunes filles".