
Elle s’appellerait Neda Soltan. Tuée samedi après qu'on lui a tiré dessus lors d'une manifestation à Téhéran, elle est devenue, en 48 heures, une icône du mouvement pro-Moussavi. Portrait.
Elle s’appellerait Neda Soltan. Plusieurs vidéos amateur de sa mort sont apparues simultanément sur le Web, samedi, en fin d’après-midi. Depuis, cette jeune inconnue, dont le nom signifie "voix" ou "appel" en farsi, est devenue un symbole pour les opposants au président Mahmoud Ahmadinejad, une sorte d'icône du mouvement pro-Moussavi. La vague de sympathie à son égard a d'ailleurs rapidement dépassé l’Iran.
Filmées en plan serré par un téléphone portable, les images de sa mort sont horrifiantes. Une jeune fille est transportée par plusieurs hommes puis couchée sur le bitume. Elle semble étonnée, mais vivante. C'est alors que du sang surgit de sa bouche et de son nez. Puis, après avoir jeté un dernier regard à la caméra, elle décède.
Une première vidéo postée sur YouTube fait d'abord état de la mort d’une jeune fille dans le quartier d’Amirabad. En fond sonore, une voix difficilement audible - probablement le père de la jeune femme - dit : "Neda, n'aie pas peur. Neda, n'aie pas peur [phrases couvertes par les cris]. Neda, reste avec moi. Neda, reste avec moi !" Une seconde parvient accompagnées d’un texte plus détaillé :
"Les Bassidji tuent une jeune femme par balle. Aux manifestations de Téhéran samedi 20 juin. À 19h05 le 20 juin. Lieu : ave. Karekar, au coin des rues Khosravi et Salehi. Une jeune femme qui se tenait debout près de son père regardant les manifestations a été tuée par les membres de la milice bassij cachés sur le toit d’une maison. Ils avaient une bonne vue sur la fille et ne pouvaient pas la manquer. Il ont tiré tout droit à travers son corps. Je suis un médecin alors je me suis précipité pour la sauver. Mais l’impact du tir était si important que la balle avait traversé la poitrine de la victime. Elle est morte en moins de deux minutes. Les manifestations se déroulaient à environ un kilomètre de la rue principale et quelques manifestants couraient pour s’éloigner du gaz lacrymogène, vers la rue Salehi. Ce film a été enregistré par mon ami, qui se tenait à côté de moi. Faites le savoir au monde."
La boîte mail de FRANCE 24 est inondée de messages déplorant "un acte barbare". "Ils tuent nos enfants. Mon Dieu, je vous implore, aidez-nous."
FRANCE 24 a contacté Hamid Bad, l’un des premiers à avoir mis en ligne la vidéo et le message ci-dessus sur son site Facebook.
Pour les autorités, un tel enthousiasme devient gênant
Ce blogueur iranien domicilié aux Pays-Bas assure avoir reçu ces images d’un ami, en l'occurrence la personne qui a filmé la mort de la jeune fille sur son portable. Il était accompagné d’un médecin, qui a tenté de venir en aide à la jeune fille et rédigé le témoignage. Il refuse de les identifier : "Les gens ont peur, c’est très dangereux en ce moment", assure-t-il. C’est Hamid qui enverra la vidéo sur YouTube, à CNN Eyeview et à la BBC.
Comment est née, par la suite, la légende de Neda Salehi Agha Soltan, élégante étudiante de 16, 19 ou encore 27 ans, probablement issue des quartiers aisés de Téhéran ?
Une photo a beaucoup circulé. Mais aucun témoignage direct de ses amis ou de sa famille ne corrobore l’histoire. Difficile, dès lors, d’accréditer ce qui semble pour l’instant n’être qu’une rumeur.
Désormais, celle-ci a toutefois un visage et acquiert sa propre vie.
Sur la Toile, de nombreux sites rendent hommage à Soltan. Facebook compte au moins quinze pages de ce type avec quelque 7 000 abonnés de toutes les nationalités. De nombreux profils portent son nom.
Sur Twitter, les internautes iraniens se demandaient, lundi, où auraient lieu ses obsèques et se donnaient rendez-vous à la mosquée Niloofar où se tiendra un service en sa mémoire. La manifestation organisée le même jour sur la place Hafte Tir se veut un hommage à Neda et aux morts des manifestations de la semaine écoulée.
Pour les autorités iraniennes, l’enthousiasme autour de Neda devient gênant. Selon plusieurs sources, les autorités auraient rendu la dépouille de la jeune fille à ses parents à la condition qu’ils l’enterrent rapidement et sans faire de bruit. Les mosquées de Téhéran auraient reçu l’interdiction expresse de tenir des services en hommage à la jeune fille.
Mais il y a fort à parier que le regard de la jeune Neda continuera à hanter la politique iranienne. Le chiisme commémore les morts après 3, 7 et 40 jours. Ces dates pourraient marquer des temps forts de la mobilisation pro-Moussavi.