Alors que les États-Unis ont récemment été marqué par des violences policières à l’encontre de Noirs, Barack Obama est critiqué pour ne pas avoir fait assez durant ses huit ans de présidence en faveur de la communauté afro-américaine.
Une nouvelle fois, Barack Obama s’est présenté, mardi 12 juillet, lors de la cérémonie à Dallas en l’honneur des cinq policiers tués la semaine dernière, comme un président rassembleur. Alors que les États-Unis semblent plus divisés que jamais, que la communauté noire pointe la police du doigt et que les tensions raciales se ravivent, Barack Obama a souhaité prendre de la hauteur.
"Nous allumons la télévision ou surfons sur Internet et nous voyons les positions se durcir, des lignes tracées et les gens se retirer dans leurs camps respectifs", a déclaré le président des États-Unis, au côté notamment de son prédécesseur républicain, George W. Bush. "Je comprends ce que ressentent les Américains. Mais, je suis ici pour le dire, nous devons rejeter un tel désespoir. Je suis ici pour dire avec insistance que nous ne sommes pas aussi divisés que nous le semblons."
Pour Jean-Éric Branaa, maître de conférences, spécialiste des États-Unis, à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, contacté par France 24, "Barack Obama a parfaitement endossé le costume présidentiel". "Ce qu’il a dit était très important et très symbolique. C’était un message d’unité d’une force extraordinaire, mais qui n’est malheureusement pas audible par les Américains dans le contexte actuel."
L’Amérique connaît en effet depuis deux ans une multiplication des affaires impliquant des policiers blancs tuant des individus noirs. Cette sinistre série a commencé avec celle de Michael Brown à Ferguson, durant l’été 2014. Elle avait elle-même été précédée en 2012 par l’affaire Trayvon Martin, qui n'impliquait toutefois pas la police. Or l’effet caisse de résonnance que donnent désormais les réseaux sociaux à ces bavures exacerbe les divisions et les tensions raciales. Et une partie de la communauté noire reproche aujourd’hui à Barack Obama de ne pas avoir fait assez pour lutter contre les inégalités raciales. L’une des voix les plus critiques à son encontre a notamment été celle de Kwame Rose, cofondateur de la branche locale de Chicago du mouvement Black Lives Matter, qui avait refusé, en février, une invitation du président dans le Bureau oval.
Obamacare, une réforme qui a grandement bénéficié aux Noirs
"Ce à quoi nous assistons est davantage un problème lié à la pauvreté qu’à la question raciale, explique Jean-Éric Branaa. La société américaine a été soumise à de très fortes tensions depuis le début de la crise économique en 2008. Et alors que le pays se relève de la crise, une partie des classes moyennes et les classes inférieures, qui ont beaucoup souffert, ont le sentiment de ne pas voir les fruits de la reprise. Et la violence sociale est énorme pour les plus défavorisés, parmi lesquels se trouve un grand nombre de familles noires, qui ont des problèmes de logement, d’éducation, de malnutrition et de chômage."
En 2014, le revenu médian des foyers blancs était ainsi de 71 300 dollars par an, contre seulement 43 300 dollars pour les foyers noirs. La différence est encore plus flagrante si on considère le patrimoine qui est 13 fois supérieur chez les foyers blancs (144 200 dollars) que chez les foyers noirs (11 200 dollars).
"Le problème, c’est que Barack Obama s’est toujours présenté comme le président de tous les Américains et a en réalité gouverné comme un président blanc, en faisant particulièrement attention de ne pas être vu comme le représentant d’une seule communauté, souligne Jean-Éric Branaa. D’où l’incompréhension des Noirs qui ont voté pour lui à 86 % et qui attendaient de lui qu’il fasse davantage pour la communauté afro-américaine." À quelques mois de la fin de son deuxième mandat, le malentendu, qui remonte à 2008, est de plus en plus évident.
Pourtant, il serait inexact d’affirmer que Barack Obama n’a rien fait pour la communauté noire. Sa réforme du système de santé, Obamacare, a permis aux classes sociales les plus défavorisées, parmi lesquelles les Noirs sont sur-représentés, de bénéficier pour la première fois d’une assurance-santé.
Plus récemment, le locataire de la Maison Blanche a également entrepris de s’attaquer au système judiciaire qui emprisonne les Noirs plus que n’importe quelle autre catégorie de la population américaine. Alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population, ceux-ci totalisent 40 % de l’ensemble des prisonniers. Or leur incarcération est due, pour nombre d’entre eux, aux lourdes peines plancher appliquées pour simple possession de drogue. La réforme voulue par Obama vise donc à réduire ces peines et même à libérer un certain nombre de prisonniers. Environ 6 000 d’entre eux, ayant en moyenne déjà passé 9 ans derrière les barreaux, ont ainsi été libérés entre le 30 octobre et le 2 novembre 2015.
Certaines nominations ont par ailleurs été importantes d'un point de vue symbolique : Eric Holder au ministère de la Justice, Lisa Jackson à la direction de l'Agence de protection de l'environnement et Charles Bolden à la tête de la Nasa sont tous devenus les premiers Noirs américains à occuper un tel poste. Loretta Lynch, qui a remplacé Eric Holder en 2015, est quant à elle devenue la première Noire à être nommée pour occuper cette fonction.
La capacité d’action de Barack Obama limitée
"Il est vrai, ceci dit, que Barack Obama n’a pas pris le taureau par les cornes et n’a pas fait de la question raciale l’une de ses priorités, reconnaît toutefois Jean-Éric Branaa. Mais il ne faut pas oublier qu’à son arrivée à la Maison Blanche en 2009, il y avait d’abord une crise économique sans précédent à gérer. Il s’est ensuite occupé d’Obamacare, avant de perdre la majorité au Congrès."
La capacité d’action du 44e président des États-Unis était donc limitée, d’autant plus que dans certains domaines comme le logement ou la politique de la ville, il n’avait tout simplement pas les moyens d’agir, ces compétences appartenant aux États et aux villes. Quant aux violences policières, elles ont à chaque fois impliqué la police locale – et non fédérale – sur laquelle le président américain n’a pas autorité.
Il apparaît également injuste de reprocher à Barack Obama ce dont il a hérité. Comme il l’a rappelé lors de son discours à Dallas, mardi soir, "des siècles de discrimination raciale […] ne se sont pas volatilisés par magie avec la fin de la ségrégation légale". Il faut du temps pour changer les mentalités.
"L’histoire jugera que la présidence Obama a été une bonne présidence, estime Jean-Éric Branaa. Alors que la campagne actuelle est marquée par Donald Trump qui a passé son temps à attiser la haine et le rejet de l’autre, en attaquant de façon répétée les immigrés mexicains et les musulmans notamment, Barack Obama n’a pas voulu jouer sur les divisions. Au contraire, à l’image de son discours de Dallas, il a constamment pris du recul et appelé les différentes communautés américaines à se comprendre les unes les autres. C’est ce qui restera une fois que les tensions actuelles seront retombées."