logo

Le Royaume-Uni tenté de se transformer en paradis fiscal pour se protéger du Brexit

Bruxelles a mis Londres en garde contre la tentation de baisser l’impôt sur les sociétés pour mitiger le contrecoup économique du Brexit. Une telle mesure pourrait transformer le Royaume-Uni en paradis fiscal et fragiliser l’économie européenne.

"Ce ne serait pas une bonne initiative." Le commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici n’a pas apprécié l’idée lancée lundi 4 juillet par Georges Osborne. Le ministre britannique des Finances veut faire passer l’impôt sur les sociétés (IS) de 20 % à moins de 15 % pour éviter un exode des entreprises, effrayées par le contrecoup économique du Brexit. Des groupes importants comme Vodafone, EasyJet ou encore HSBC ont en effet laissé entendre qu’ils cherchaient à délocaliser une partie de leurs activités dans d’autres pays européens.

L’ex-ministre français de l’Économie a mis en garde, mardi 5 juillet, contre le "risque de dumping fiscal" de ce genre de réforme. La très sérieuse OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) a pour sa part jugé, dans une note interne consultée par l’agence Reuters, que le Royaume-Uni était tenté de se transformer en paradis fiscal avec une telle baisse de l’IS.

Modèle irlandais

La mesure proposée par Georges Osborne démontre que le gouvernement britannique "pense en fait à se rapprocher du modèle irlandais en cas de Brexit", indique Markus Meinzer, spécialiste des questions fiscales pour l’ONG Tax Justice Network. L’Irlande, avec un taux d’impôt sur les sociétés de seulement 12 %, a attiré un grand nombre de multinationales, telles que Facebook, Apple ou Google, tout en suscitant les véhémentes critiques des détracteurs des paradis fiscaux.

Si la réforme britannique est adoptée, le Royaume-Uni ne sera pas au même niveau de pression fiscale que son voisin insulaire… mais presque. Les 15 % d’impôts sur les sociétés placeraient le pays du Brexit en deuxième place des États européens les plus fiscalement favorables aux entreprises, très loin de la moyenne du continent qui se situe à 25 %.

La France, où cet IS s’élève à 34 %, aurait alors bien du mal à attirer les entreprises tentées par une relocalisation sur le continent. C’est d’ailleurs le pari de Georges Osborne : retenir les sociétés dans l’île grâce à une carotte fiscale, aussi politiquement controversée soit elle.

Tollé dans l’opinion publique

Le calcul économique peut se comprendre. Il vaut mieux collecter un impôt moindre qu’aucune taxe du tout, ce qui serait le cas si ces entreprises allaient chercher fortune ailleurs. Le problème, souligne le Financial Times, est que cette baisse de la fiscalité ne profiterait pas seulement aux candidats au départ. Les sociétés qui n’avaient aucune velléité de partir du Royaume-Uni paieraient aussi moins d’impôt.

Cette baisse générale des rentrées fiscales coûterait, d’après le Financial Times, très cher au pays dans un premier temps. Reste à savoir si, à moyen ou long terme, cette mesure aurait le même effet sur le Royaume-Uni que sur l’Irlande : attirer davantage de siège de grands groupes et maintenir l’attractivité de la City londonienne comme poumon financier mondial pour les banques.

Markus Meinzer, l’expert de l’ONG Tax Justice, n’y croit pas du tout. Pour lui, l’époque n'est plus à la création de nouveaux paradis fiscaux : avec les Luxleaks, SwissLeaks et "Panama Papers" "les gens se sont rendus compte à quel point ces pratiques fiscales sont dangereuses pour l’économie", souligne-t-il. Londres ne pourrait pas, d’après ce spécialiste, adopter une telle mesure sans susciter un tollé dans l’opinion publique, avec d’éventuelles répercussions électorales négatives au Royaume-Uni.

L’Union européenne a aussi intérêt à tout faire pour empêcher cette baisse proposée de l’impôt sur les sociétés de la "perfide Albion". "Cette mesure et la guerre fiscale qu’elle pourrait déclencher signerait l’arrêt de mort de l’Europe économique", assène Markus Meinzer.

D'autres pays européens seraient enclin à baisser leur taux d'impôt sur les sociétés afin de rester dans la course avec le Royaume-Uni, ce qui aurait pour conséquence de réduire les rentrées fiscales sur tout le continent. Pour les États européens, déjà au bord de la rupture budgétaire depuis la crise de la zone euro, un tel scénario serait économiquement difficilement soutenable.