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Jimmy Wales, co-fondateur de Wikipédia, à propos de la loi "Création" : "On ne nous a absolument pas consultés"

À l’occasion de Viva Technology, grand-messe des starts-up du monde entier destinée à faire rayonner la capitale française, on a pu, entre autres, demander au créateur de l’encyclopédie libre ce qu’il pensait de la nouvelle taxe sur les images en ligne.

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de croiser le créateur du 7ème site le plus visité au monde. Encore moins lorsqu’une loi qui menace fortement l’équilibre de ce dernier vient d’être adoptée par le Parlement français. C’est pourquoi on a voulu croiser Jimmy Wales, le co-fondateur de Wikipédia, présent au salon Viva Technology, qui se tient à la Porte de Versailles jusqu’à samedi.

Si vous n’avez pas suivi cette histoire de loi Création, on vous briefe rapidement : celle-ci, adoptée par le Sénat jeudi dans sa version finale, impose désormais une redevance obligatoire à tous les moteurs de recherche pour avoir le droit d’indexer des images, rendant ainsi inopérantes les licences libres. Si un géant comme Google pourra aisément s’acquitter d’une telle taxe, Wikipédia, dont le financement repose sur les dons d’internautes, se retrouve fortement menacé sur le territoire français.

On l'a donc fait réagir sur le sujet, mais aussi sur d’autres défis et thématiques, comme la diversité de ses contributeurs ou encore sur le design quasi-immuable de l'encyclopédie ouverte à tous.

L’Italie, et maintenant la France, viennent d’adopter des lois restrictives en matière de diffusion libre de contenus sur les moteurs de recherche. La loi "Création" a d’ailleurs été votée il y a à peine deux jours par le Parlement français. Que répondez-vous à cela ?

C’est quelque chose qui nous inquiète beaucoup. On se sent très concernés par le fait que ces lois aient été adoptées, surtout sans qu’un aucune concertation digne de ce nom n’ait eu lieu avec nous et le public. Le problème, c’est que les gens voient d’abord l’intérêt commercial que cela peut représenter. Sauf que notre communauté a un grand besoin de flexibilité pour fonctionner. Notre objectif est de faire circuler librement le savoir. C’est en cela que nous estimons qu’il est très important que nous soyons consultés. Ceux qui font les lois ne devraient pas uniquement agir dans l’intérêt financier de l’État, mais aussi dans celui des communautés en ligne qui font toutes ces choses formidables sur le Net.

Nous avons une section dédiée, ici en France, qui fait un super boulot et qui essaye de sensibiliser les politiques et l’opinion publique sur ces questions-là. Et je suis aussi ici aujourd’hui pour faire passer le mot, et faire en sorte que les gens commencent s’en préoccuper. 

Pourquoi venir à Viva Technology aujourd’hui à Paris ? 

D’abord parce que c’est l’un des événements tech les plus importants d’Europe. C’est vraiment énorme ! Aussi parce que j’y ai été invité aujourd’hui pour parler du concept de disruption et pour aborder les problématiques de vie privée et de copyright que posent l’expansion d’Internet. Il est vraiment temps de réinventer des cadres juridiques pour répondre à tout cela. Grosso modo, voilà ce qui explique ma présence.

On parle souvent – et on a finalement toujours parlé – de la fragilité économique de Wikipédia. Dites-nous franchement, comment allez-vous ?

On va bien ! On n’a pas beaucoup d’argent, certes, mais on a en assez pour tourner. On continue à faire ce que l’on a toujours fait, à savoir faire attention à la manière dont on gère la Wikimedia Fondation. On se doit toujours d’agir, financièrement, de la manière la plus prudente qui soit et de toujours regarder vers l’avenir. Cette année, on a aussi annoncé le lancement d'un fonds de dotation à part, Wikipedia Endowment, voué à engranger 100 millions de dollars sur dix ans et à devenir une réserve pour l’avenir.

La semaine dernière, lors de la grande conférence annuelle de Wikipédia, "Wikimania" (organisée cette année dans un petit village de montagne d'Esino Lario, ndlr.) vous avez abordé le manque de diversité dans la communauté que forment les contributeurs réguliers de l’encyclopédie, qui sont essentiellement des hommes technophiles. Comment comptez-vous faire changer les choses ?

Lors de cette 12ème édition de Wikimania, on a rassemblé des gens venus de 60 pays, parlants tous des langues différentes et ayant tous des cultures différentes. C’était super. Ceci dit, il est vrai que notre communauté a toujours été, en gros, "tech-geek", et constituée en grande majorité d’hommes entre 25 et 40 ans. Mais on voit les choses bouger : depuis quelques temps, de plus en plus de nos membres préfèrent tout simplement se définir comme de simples geeks, plutôt que comme des technophiles. Maintenant, le défi va être d'accueillir plus de femmes – même si nous en comptons déjà bien sûr. En réalité, je crois que notre véritable objectif est de rendre notre communauté tout simplement plus accueillante et chaleureuse. N’importe qui vient sur Wikipédia devrait être en mesure de pouvoir partager ce qu’il sait, et nous devons faire en sorte que ce processus devienne familier pour de plus en plus de monde.

En mars dernier, vous avez sorti une nouvelle version de l’application Wikipédia, sur iOS et Android, qui intègre notamment des requêtes suggérées en fonction de nos précédentes recherches. Le fait est qu’il est rare que Wikipédia change de visage. Pourquoi ? 

À vrai dire, l’interface-web du site fonctionne très bien, et nos utilisateurs y sont habitués. Vous savez, Wikipédia est très endroit très calme, beaucoup moins viral que la plupart des sites d’aujourd’hui. Aujourd’hui, on se concentre beaucoup sur notre version mobile, et l’on sait très bien que les usages d’Internet ne sont pas les mêmes sur un ordinateur et sur un smartphone. Nous pensons que si vous lisez un article aujourd’hui, notre mission est de vous en proposer un autre, en toute cohérence avec votre requête, le lendemain. C’est ce genre de choses que nous expérimentons avec la nouvelle application, qui propose donc des pages suggérées, et pour l’instant, notre communauté semble assez enthousiaste. Alors effectivement, cette dernière est un peu "conservatrice", et on ne fera jamais de folies avec notre interface-web, mais je crois que nos membres comprennent que la version-mobile est un espace parfait pour tenter des choses.

Elle serait donc une sorte de "labo" pour la version desktop ?

Exactement. Elle nous permet d’apprendre des choses, à appliquer éventuellement plus tard...

Diriez-vous que le libre-savoir progresse, ou, au contraire, régresse à l’échelle mondiale ?

Je crois, malgré tout, qu’il progresse. Bien sûr, il y a encore des embûches sur le chemin. La censure est encore présente dans beaucoup de pays, mais je pense que nous allons vers plus d’ouverture. Je tâche de rester toujours optimiste.

Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.