
Le groupe français Exxelia Technologies est visé par une plainte pour "complicité de crime de guerre" et "homicide involontaire" suite à la mort de trois enfants palestiniens dans la bande de Gaza, tués par un missile israélien en 2014.
Le missile était, en petite partie, "made in France" et il a tué trois jeunes garçons à Gaza, le 17 juillet 2014. L’un de ses composants retrouvé sur les lieux du drame – un capteur de position fabriqué par la société française Eurofarad rachetée depuis par Exxelia Technologies – a motivé une plainte inédite en France pour complicité de crime de guerre et homicide involontaire contre le groupe tricolore. Elle a été déposée mercredi 29 juin à Paris par l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) au nom de la famille palestinienne des victimes.
La procédure est inédite et complexe, de l’aveu de Dominique Tricaud, avocat spécialiste des droits de l’Homme. Certes, estime-t-il, la qualification de crime de guerre pourrait être retenue en cas de procès puisque des civils innocents – des enfants – ont été tués. En outre, des témoignages recueillis par l’ONU ont permis d’établir qu’il n’y avait pas de combattant armé sur place lors du tir de missile et qu’aucun avertissement préalable pour les civils n’avait été émis par les autorités israéliennes.
À la recherche du "lien causal"
Mais prouver la complicité de crime de guerre devrait être autrement plus difficile. Contacté par Le Monde, Exxelia Technologies assure que ses ventes "en France et à l’exportation respectent toutes les règles imposées par la loi". "La complicité est subordonnée à la connaissance que l’entreprise avait de la manière dont l’arme allait être utilisée", précise Dominique Tricaud. La difficulté de prouver cette connaissance de l’utilisation finale de leurs produits garantit une certaine immunité aux marchands d’armes.
Pour l’avocat français, Acat et leurs avocats doivent réussir à établir un "lien causal" entre Exxelia Technologies et la mort des trois enfants. Il y a plusieurs manières d’y parvenir. Si, de par sa conception, le composant ou l’arme sont destinés à faire des victimes civiles (comme les bombes à fragmentation ou les mines antipersonnel), la complicité de l’entreprise pourrait être retenue. Mais dans le cas d’un simple composant, la complicité serait difficile à prouver.
Autre possibilité : prouver qu'Exxelia Technologies pouvait "pressentir que son composant allait être utilisé pour tuer des civils", souligne Dominique Tricaud. Auquel cas, l’entreprise aurait dû s’abstenir. Pour ce faire, il faudrait démontrer que le revendeur savait qui allait acheter son composant et à quelle fin. "Il faudrait qu’une enquête démontre que ce groupe connaissait le client final de son matériel", reconnaît Hélène Legeay, directrice du programme Maghreb - Moyen-Orient d’Acat, contacté par France 24.
Affaire trop sensible ?
C’est là que le bât blesse. "Le parquet décide s’il veut ou non demander à un juge d’instruction d’ouvrir une enquête et il n’a pas à motiver son choix, rappelle Hélène Legeay. C’est une décision très politique." Elle craint qu’une telle procédure, impliquant d’aller enquêter en Israël sur une telle affaire soit jugée trop sensible.
D’où la décision d’ajouter une plainte pour homicide involontaire contre Exxelia Technologies. "Cela permet d’échapper à l’obligation de démontrer le caractère intentionnel qui est constitutif de la complicité", souligne Dominique Tricaud. L’homicide involontaire nécessite simplement de prouver qu’il y a eu "une faute qui a provoqué la mort, sans intention de la donner", explique l’avocat.
Surtout, la qualification d’homicide involontaire permettrait de garder à l’affaire une dimension purement franco-française. "L’auteur principal du crime deviendrait Exxelia Technologies", note Hélène Legeay. Cela permettrait de ménager les susceptibilités israéliennes, alors qu’une enquête pour déterminer si l’armée de l’État hébreu est coupable d’un crime de guerre dont Exxelia Technologies pourrait être complice.
Un procès pour homicide involontaire aurait certes moins d’impact médiatique qu’un procès pour complicité de crimes de guerre. Mais le but serait le même : tenter de démontrer que les marchands d’armes peuvent être juridiquement responsables des morts innocentes causées par leurs produits… Même ils ne vendraient qu’un simple composant.