logo

Brexit : l’affiche anti-migrants de Ukip, symbole d’une campagne de "caniveau"

"Répugnante", "ignoble", "proche de la propagande nazie"… L’affiche de campagne anti-immigration dévoilée par le parti anti-européen Ukip a suscité un tollé au Royaume-Uni. Et provoqué l’embarras, sinon le dégoût, des conservateurs pro-Brexit.

Trois jours après le meurtre en pleine rue de la députée Jo Cox, la campagne pour le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne (UE) redémarre progressivement. Et calmement. De fait, le traumatisme suscité par la mort de la jeune députée travailliste europhile a singulièrement modifié le ton des débats. Peu après le drame, Alex Salmond, député du Parti national écossais qui milite en faveur du maintien dans l’UE, estimait déjà dans le Herald Scottish qu’il pourrait "avoir un effet durable sur la manière de conduire la politique et de sortir du caniveau".

"Beaucoup d’observateurs ont pointé a posteriori le fait que les termes et la terminologie de la campagne étaient tout à fait inhabituels au Royaume-Uni", rappelle Armelle Charrier, journaliste de France 24, spécialiste des questions internationales. On se souvient, notamment, des propos de Boris Johnson, ancien maire de Londres et bouillonnant fer de lance du Brexit, comparant l’UE à Hitler et Napoléon. Mais, pour nombre d’observateurs et responsables politiques, le point d’orgue de cette violence verbale fut atteint quelques heures seulement avant le meurtre de Jo Cox, le 16 juin.

"Propagande nazie des années 1930"

Ce jour-là, Nigel Farage, le chef de file du parti europhobe United Kingdom Independence Party (Ukip), dévoile sa nouvelle affiche de campagne mettant en scène une colonne de réfugiés, et barrée du slogan "Breaking Point" (Point de rupture). "L'Europe nous a tous fait échouer. Nous devons nous libérer de l'Europe et reprendre le contrôle de nos frontières", pouvait-on également y lire.

The EU has failed us all. pic.twitter.com/Lb7txUghar

— Nigel Farage (@Nigel_Farage) 16 juin 2016

Symbole d’un parti nationaliste ayant fait de l’immigration l’épouvantail du projet européen, le visuel et le slogan du Ukip ont suscité un tollé au Royaume-Uni. Photos à l’appui, des électeurs ont rapproché le poster de la discorde à la propagande du IIIe Reich. Comparaison à laquelle le ministre des Finances, George Osborne (anti-Brexit), s’est lui-même livré en dénonçant "une affiche répugnante et ignoble qui rappelle la propagande nazie des années 1930".

Your new poster resembles outright Nazi propaganda, @Nigel_Farage. Thanks to @brendanjharkin for pointing it out. pic.twitter.com/Rd89XZSvfD

— Connor Beaton (@zcbeaton) 16 juin 2016

Pour les tenants d’un maintien dans l’UE, l’initiative du Ukip n’est qu’un témoignage supplémentaire de la virulence des pro-Brexit. La travailliste Yvette Cooper a ainsi accusé les partisans de la sortie "d'exploiter la misère des réfugiés syriens de la façon la plus malhonnête et la plus immorale possible." "Les militants du 'non' sont tombés dans le caniveau avec leur nouvelle tentative d'effrayer les travailleurs pour les pousser à voter le départ de l'Union européenne", a pour sa part jugé Dave Prentis, président de l’Unisson, l’un des plus importants syndicats du pays. "Prétendre que l'immigration en Angleterre ne concerne que des personnes non-blanches, c'est colporter un racisme qui n'a pas sa place dans une société moderne", poursuivait-il. Comme le rapporte Le Figaro, l’organisation a d’ailleurs déposé plainte pour "incitation à la haine raciale".

"Sommes-nous prêts à répandre la haine pour gagner une campagne ?"

Chez les conservateurs défendant le Brexit, c’est l’embarras qui domine. Michael Gove, le ministre de la Justice, a avoué sur la BBC avoir "frissonné" à la vue de l’affiche. "Ce n'est pas ma politique et ce n'est pas ma campagne", a pour sa part immédiatement réagi Boris Johnson. D’ordinaire assez offensif sur la question de l'immigration, l’ancien maire de Londres a même profité d’un meeting à Londres, dimanche, pour dire tout le bien qu’il en pensait : "Je suis pour l’immigration (…). Je suis pour l’amnistie des immigrés illégaux présents au Royaume-Uni depuis plus de douze ans, parce que c’est la chose humaine à faire."

Volte-face plus radicale, une ancienne secrétaire d'État aux Affaires étrangères, la conservatrice Sayeeda Warsi, a annoncé arrêter de faire campagne pour la sortie de l'UE. "Sommes-nous prêts à raconter des mensonges, à répandre la haine et la xénophobie juste pour gagner une campagne ? Pour moi, c'est allé trop loin", a-t-elle déclaré au quotidien The Guardian dans un entretien paru ce lundi 20 juin.

De son côté, Nigel Farage a indiqué que l’affiche avait été retirée. Mais uniquement en raison d’un "mauvais timing" avec le meurtre de Jo Cox, qui impose "calme et silence". Le chef de Ukip, toutefois, persiste et signe quant au message du poster. En dépit de la polémique et des quelques défections, le leader de Ukip sait que jouer sur la peur de l’immigration peut porter ses fruits.

"C'est une photographie – une photographie exacte, non modifiée – prise le 15 octobre dernier à la suite de l'appel d'Angela Merkel pendant l'été, a-t-il affirmé au Guardian. Ouvrir nos cœurs aux véritables réfugiés, c'est une chose. Mais, franchement, comme vous pouvez le voir sur cette photo, la plupart des personnes qui viennent sont de jeunes hommes qui viennent certainement d'endroits plus pauvres que nous. Mais l'Union européenne a fait une erreur fondamentale, qui menace la sécurité de tous." Et il conclut : "Quand les terroristes de l'État islamique disent qu'ils vont utiliser la crise migratoire pour noyer le continent de ses jihadistes terroristes, ils sont à prendre au sérieux".

"Libérer la parole raciste"

Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin, la campagne menée par certains défenseurs d’une sortie britannique de l’UE aura eu pour conséquence de "libérer la parole raciste", déplore Le Temps. "Partout à travers le Royaume-Uni, le même discours résonne. 'Je ne suis pas raciste, mais…', écrit Éric Albert, correspondant à Londres pour le quotidien suisse. Ainsi, ce chauffeur de taxi à Liverpool, qui lance du tac-au-tac, sans la moindre hésitation : 'L’immigration est un vrai problème. On a beaucoup d’Européens, des Albanais, qui viennent s’installer ici. Ils vivent de mendicité et d’aides sociales'."

Reste que pour certains éditorialistes, qualifier de raciste l’ensemble des partisans du "out" est aussi une manière de caricaturer le débat. "Ceux qui mènent campagne contre le Brexit ne comprennent pas nos peurs", déplore le quotidien eurosceptique Daily Express cité par Courrier international. "Alors que les élites profitent des bénéfices de l’afflux de main-d’œuvre bon marché [notamment d’Europe de l’Est], elles méprisent les Britanniques dont les quartiers et les moyens d’existence ont été brisés par la politique de frontières ouvertes. C’est scandaleux de dénigrer ceux qui ne sont pas d’accord avec cette politique en les qualifiant de racistes. Vouloir récupérer le contrôle de nos frontières et de notre pays en votant pour la sortie n’a rien à voir avec l’intolérance.”

Jouer sur la peur n’est d’ailleurs pas une spécificité des anti-UE. Dans leur argumentaire, les europhiles n’hésitent pas à prédire le pire pour le Royaume-Uni en cas de Brexit (davantage d’austérité, baisse du cours de la livre, désertion des financiers à la City…). En clair, résume le magazine conservateur The Spectator, "la campagne anti-Brexit est en grande partie infantile, hystérique et condescendante, mais la campagne pro-Brexit l’est aussi." En résumé : choisir entre les deux camps, c’est "choisir entre un cauchemar exagéré [contre le Brexit] et un rêve qui peut ne pas se réaliser [la campagne pour]."