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Le procès de la filière jihadiste de Strasbourg s’ouvre lundi à Paris

Le frère d’un des responsables des attentats du 13 novembre sera jugé à partir de lundi avec six autres prévenus de la filière jihadiste de Strasbourg. La défense et l’accusation s’affrontent quant à l’authenticité de certaines pièces du dossier.

Lundi 30 mai s’ouvre devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance (TGI) de Paris le procès de sept présumés jihadistes français, dont le frère de Foued Mohamed-Aggad, l’un des kamikazes du Bataclan. Les jeunes hommes, âgés de 24 à 27 ans, originaires de Strasbourg et de ses environs, se sont envolés pour la Syrie en décembre 2013 avant de se raviser et de regagner la France quelques mois plus tard et d'être arrêtés en mai 2014.

Ils sont poursuivis pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ce chef d’accusation est puni de trois à dix ans d’emprisonnement. La peine maximale a déjà été prononcée lors de procès similaires, comme celui de la filière jihadiste de Champigny. Mais établir la culpabilité des prévenus risque de se révéler plus complexe dans ce dossier.

Les sept Strasbourgeois font partie d’un groupe initial de onze personnes. Parmi les quatre autres, outre l’un des responsables des attentats du 13 novembre, l’un s’est ravisé et n’a jamais mis les pieds en Syrie, et deux autres y sont décédés. Quant aux sept à avoir effectivement foulé le sol syrien, il faudra déterminer s’ils se sont rendus coupables d’exactions en Syrie.

Un prétexte humanitaire "pas crédible"

Alors qu’ils avaient quitté la France au prétexte de vacances à Abu Dhabi, les prévenus racontent  aujourd’hui qu’ils ont fait le déplacement pour des raisons humanitaires et qu’ils n’ont rejoint l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, le nom de l’organisation terroriste État islamique avant l’été 2014) que forcés.

Le parquet n’y croit pas. Le substitut du procureur juge en effet cette version "pas crédible", rapporte Le Monde fin janvier. Notamment compte tenu de certains documents versés au dossier : l’accusation affirme avoir en sa possession des photos de certains des prévenus "avec armes et en treillis" et de "textes menaçants envers la France". "Nous arrivons, prépare-toi aux explosions et aux assassinats sur tes territoires", ou encore "Aux braves musulmans de la France, retracez le chemin de Mohamed Merah".

Le frère de Foued Mohamed-Aggad, Karim, apparaît par exemple sur des clichés, souriant et brandissant une Kalachnikov, "pas chargée" selon lui, ou un couteau qui "ne coupait pas du tout", s’est-il défendu auprès des enquêteurs. Une mise en scène dont il assure qu’elle lui a été imposée et à laquelle le climat de suspicion et de menace régnant dans les rangs des jihadistes de Syrie rendait impossible de se soustraire.

Depuis, l’instruction semble avoir permis d’établir que les velléités de départ elles-mêmes n’étaient pas sans lien avec Mourad Farès, recruteur présumé des prévenus. Cet homme de 31 ans, originaire de Thonon-les-Bains, a été l’un des principaux pourvoyeurs de jihadistes français en Syrie et en Irak avant d’être arrêté en Tunisie à la mi-août 2014. Il aurait aidé la dizaine de jeunes Strasbourgeois dans leurs préparatifs, effectués en partie dans un bar à chicha de Kehl, ville allemande voisine.

Après avoir censément aidé la bande de Strasbourg à rejoindre l’EI, Mourad Farès s’en serait éloigné, quittant les rangs de l’organisation terroriste pour rejoindre le front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Son parcours jusqu’en Tunisie, où il a été arrêté, n’est pas connu publiquement.

Les documents du "Daech Leak" seront-ils recevables ?

Enfin, la question du versement au dossier de documents issus du "Daech Leak" pourrait se révéler déterminante. Ces fichiers, attribués à l’EI et dévoilés en mars par la chaîne Sky News, auraient été fournis par un ancien membre du groupe terroriste via une clé USB. Ils auraient, selon la chaîne, été volés au chef de la police interne de l’EI.

L’authenticité de ces documents est toutefois contestée par la défense. Et les experts sont partagés. L’apparence des documents est unanimement jugée troublante : la présence de deux sigles différents pour désigner l’EI ("État islamique en Irak et au Levant" et "État de l’islam en Irak et au Levant"), l’absence de tampon ou de signature ainsi que l’attribution à une certaine "direction générale des frontières" inconnue des services de renseignement indiquent qu’il ne s’agit pas de documents officiels.

"Peut-être que certaines infos sont vraies et qu'une mise en page a été fabriquée pour vendre l'info chère à différents acheteurs", analyse Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des questions jihadistes.

"Soit ces éléments sont retirés, soit il faudra un report pour étudier les pièces", a prévenu l’un des avocats des prévenus, Me Eric Plouvier, qui a par ailleurs porté plainte au nom de son client Miloud Maalmi pour faux et usage de faux.

Ces formulaires en arabe, censés être distribués aux jihadistes étrangers arrivants, sont en effet classés selon trois catégories : "combattant", "martyr" ou "Inghimasi" (celui qui combat ceinturé d'explosifs, qu'il actionne en dernier recours). Et sur ces fichiers, les Strasbourgeois sont désignés comme étant des "combattants". La reconnaissance de ces documents comme authentiques serait donc une très mauvaise nouvelle pour la ligne de défense adoptée.