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La "grande marche" de Macron ou le retour de la démocratie participative de Royal

Emmanuel Macron a lancé, samedi, sa "grande marche". L’initiative, qui vise à recueillir le sentiment des Français sur l'état du pays avant 2017, rappelle les "débats participatifs" lancés par Ségolène Royal dix ans plus tôt.

Et si Emmanuel Macron ne faisait finalement que reprendre les recettes de campagne de Ségolène Royal ? En donnant le départ de sa "grande marche", samedi 28 mai, en direct sur Facebook, le ministre de l’Économie a lancé la première étape de la construction de la nouvelle "offre progressiste" qu’il entend proposer. Sa méthode est simple : faire du porte-à-porte pour aller "à la rencontre des Français" et établir un "diagnostic du pays" qui sera "le socle sur lequel nous allons construire notre action".

Une méthode qui, comme Emmanuel Macron, se veut moderne, en rupture avec les pratiques des partis traditionnels, et qui, pourtant, rappelle les débats participatifs lancés par Ségolène Royal il y a près de dix ans.

Avant de devenir la candidate du Parti socialiste (PS) à la présidentielle de 2007, l’actuelle ministre de l’Environnement avait elle aussi construit sa popularité auprès de l’opinion en se positionnant à la marge du PS, en le court-circuitant. Peu importe que les instances dirigeantes, rue de Solférino, aient produit un programme présidentiel approuvé dès le printemps 2006 par l’ensemble du parti et par ses candidats à la primaire censés s’y tenir, les propositions de Royal pour les Français devaient, selon elle, émaner des Français eux-mêmes. Ainsi était né le slogan de la "démocratie participative" et, avec lui, l’organisation des "débats participatifs" supposés constituer le vivier des propositions de la candidate socialiste.

"Le 'Royalisme' […] peut s’analyser comme une tentative de redéfinir symboliquement les relations entre représentants et représentés", analysait un an après la présidentielle de 2007 le politologue Rémi Lefebvre, dans un article publié dans le magazine La Vie des idées. "Partant du diagnostic fondateur du discrédit du personnel et de la parole politiques, Ségolène Royal a très largement construit son offre […] sur la relation qu’elle a instaurée 'personnellement' avec les Français, sur son identité construite comme distinctive (inflation du 'je' dans ses énonciations, mise en scène permanente de sa 'liberté') et sur une nouvelle manière de 'faire de la politique' associant les citoyens 'ordinaires'. Ce style censé restaurer la confiance a quasiment tenu lieu de projet."

100 000 témoignages pour "construire le visage de cette France invisible"

Neuf ans plus tard, le ministre de l’Économie suit la même ligne. "On ne peut pas aujourd’hui construire un projet sans comprendre où en est le pays et on ne peut pas comprendre le pays à quelques-uns dans un bureau ou à quelques-uns qui se ressemblent", a affirmé Emmanuel Macron, samedi matin, en s’adressant aux internautes sur Facebook. Si sa démarche vise à recueillir 100 000 témoignages de citoyens de tous horizons, le jeune ministre de 38 ans, dans son discours, a surtout insisté sur son intention de vouloir "redonner une voix à ceux qui n’en ont pas", "construire le visage de cette France invisible" et "essayer de reconstituer l’intérêt général".

Comme Ségolène Royal avant lui, Emmanuel Macron ne cesse également de mettre en avant sa liberté de ton, souvent en rupture avec le Parti socialiste ou avec le gouvernement auquel il appartient. Il n’a ainsi pas manqué de se démarquer du Premier ministre, notamment sur les racines du terrorisme, sur l’accueil des réfugiés ou sur la déchéance de nationalité. En prenant position sur des sujets aussi variés et aussi éloignés de son périmètre d’attribution, le ministre de l’Économie affirme son ambition politique et affine son discours, quitte à être accusé de ne pas jouer collectif. "Beaucoup voient en lui une forme de régénérescence de la vie publique, mais quand on est ministre, il faut être uniquement à cette tâche", a encore averti Manuel Valls, samedi, dans Le Parisien. "C'est bien de faire du porte-à-porte. Que tout le monde fasse du porte-à-porte... mais dans les heures où on n'est pas ministre !"

Mais à en croire sa cote de popularité, nettement supérieure à celles du président François Hollande et du Premier ministre, ses petites phrases plaisent à un certain électorat. Lorsqu’il affirme, fin avril, sur Arte "la gauche aujourd’hui ne me satisfait pas", il sait qu’il va créer la polémique chez les sympathisants et les encartés du Parti socialiste, mais qu’il sera peut-être entendu parmi les déçus du PS. Comme la candidate de la présidentielle de 2007, c’est bien au-dessus de la machine socialiste et des partis que veut se placer Emmanuel Macron.

Le flou demeure sur les intentions d’Emmanuel Macron pour 2017

Cette double stratégie – rupture avec les appareils politiques traditionnels et volonté affichée de vouloir donner la parole aux "invisibles" – a-t-elle une chance de succès ?

Contrairement à Ségolène Royal en 2007, Emmanuel Macron est loin de bénéficier de l’étiquette "proche des gens". Ses détracteurs, en effet, le présentent volontiers comme un "banquier" coupé des réalités, en référence à sa précédente vie professionnelle qui lui a permis de faire fortune dans le monde de la finance.

Quant à la méthode choisie, il est bon de rappeler que les débats participatifs lancés par Ségolène Royal avaient aussi donné lieu à de vives critiques, la candidate socialiste étant accusée par de nombreuses voix de populisme ou de démagogie.

"On ne saurait être dupe de ces redéfinitions du lien électoral : elles relèvent à l’évidence de stratégies de réassurance du lien représentatif dont les professionnels de la politique gardent l’initiative, écrit ainsi Rémi Lefebvre en 2008 dans La Vie des idées. Les candidats ou les élus restent maîtres de la parole, des conditions de sa production et de l’usage qu’ils font de la contribution des électeurs."

Contrairement à Ségolène Royal, Emmanuel Macron assure que toutes les étapes de la "grande marche" se feront dans la plus grande transparence, y compris la synthèse qu’il compte faire, à la fin de l’été, de ce recueil de témoignages. En revanche, il y a bien un point sur lequel il entretient le flou : sera-t-il candidat en 2017 ? Se mettra-t-il au service de François Hollande ? Pas question, pour l’heure, de dévoiler ses intentions. C’est donc sans réellement savoir pour quel candidat ils travaillent en vue de 2017, que les 14 000 bénévoles du mouvement "En marche !" iront frapper à la porte des Français.