Alors que l’étau se resserre sur les jihadistes de l'EI en Irak et en Syrie, Bagdad a lancé une grande offensive sur Falloujah, cité symbole aux portes de la capitale irakienne et l'un des principaux fiefs des jihadistes dans le pays.
Du plomb et du sang : la bataille annoncée de Falloujah a commencé. Le gouvernement du Premier ministre irakien Haider al-Abadi a lancé, dans la nuit du 22 au 23 mai, la grande offensive sur la première ville du pays à être tombée sous le contrôle de l’organisation État islamique (EI) début 2014.
Située à une cinquantaine de kilomètres de Bagdad, dans la province à majorité sunnite d’Al-Anbar, Falloujah, devenue depuis l’une des principales places fortes des jihadistes dans le pays, constitue un enjeu aussi crucial que symbolique pour le pouvoir irakien.
Crucial, car la reprise de cette ville, encerclée depuis plusieurs mois, infligerait un coup dur à l’EI et constituerait un tournant important dans la guerre menée contre l’organisation d'Abou Bakr al-Baghdadi. Elle permettrait également de redorer le blason d’un Premier ministre fragilisé par les contestations populaires et les calculs politiciens de ses rivaux.
Symbolique car la chute de Falloujah en 2014, après le retrait des forces de sécurité, avait constitué un choc pour les Irakiens. Une prise qui avait grandement servi à l’expansion éclair de l’EI et facilité sa conquête de Mossoul, la deuxième ville du pays, devenue la "capitale" des jihadistes en Irak.
"L’EI ne lâchera pas facilement cette ville"
Pour l’arracher aux jihadistes, le pouvoir a mobilisé les grands moyens. L'offensive, qui bénéficie de l’appui aérien de la coalition internationale, est menée par les forces armées gouvernementales, des forces spéciales, des combattants de tribus sunnites locales et une coalition de plus d’une quinzaine de milices chiites.
La bataille de Falloujah s'annonce déjà particulièrement difficile et très coûteuse en vies humaines. "À chaque fois qu’une ville est reprise à l’EI, elle ne l’est qu’au prix fort, c’est-à-dire au prix de sa totale destruction, comme ce fût le cas à Tikrit et à Ramadi", explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvances jihadistes au sein de la rédaction de France 24.
"On sait déjà que l’EI ne lâchera pas facilement cette ville où elle jouit d’un certain soutien populaire, d’autant plus que pour une raison très pragmatique, étant encerclés et faute de porte de sortie, les jihadistes se battront jusqu’au bout". Sans compter que depuis deux ans, l’organisation a eu le temps de renforcer ses défenses dans la ville et ses alentours.
De plus, symbolique pour le pouvoir irakien, Falloujah l’est tout autant pour les jihadistes. "Outre le fait qu’il s’agisse, d’un point de vue religieux, de la ville sunnite qui compte le plus de mosquées dans le pays [Falloujah, surnommée "la Cité des mosquées", et sa région abritent pas moins de 200 mosquées, NDLR], elle est aussi le symbole de la lutte armée contre les Américains", précise Wassim Nasr.
En effet, en 2004, l'armée américaine avait enregistré des pertes humaines très lourdes, alors qu’elle tentait de reprendre Falloujah, considérée alors comme le principal bastion d'Al-Qaïda en Irak. Les Marines avaient lancé deux assauts afin d’y éteindre l’insurrection sunnite - dont l’opération "Phantom Fury" - qui s'étaient soldés par la mort de 95 soldats américains. Les combats, décrits à l’époque, comme étant les plus meurtriers du conflit irakien, ont été les plus sanglants pour l'armée américaine depuis la guerre du Vietnam.
Des civils pris en étau
Toutefois, les chefs de l’EI semblent s’être résignés à perdre Falloujah tôt ou tard. "Il y a quelques jours, le porte-parole du groupe a implicitement préparé, dans un message audio, ses troupes à la perte de villes contrôlées par l’organisation", précise Wassim Nasr, qui estime qu’une reprise de la ville constituera une lourde perte pour l’EI mais ne l’empêchera pas de porter le combat ailleurs.
La principale inquiétude concerne les civils piégés à l’intérieur de Falloujah, estimés entre 70 000 à 90 000 âmes par Bagdad, et qui se trouvent dans une situation dramatique. En proie à des pénuries, notamment de médicaments, et pris en étau entre les jihadistes et les forces progouvernementales, ils ont été appelés dimanche par le Commandement irakien des opérations à quitter la ville.
Et si des responsables ont fait état ces dernières semaines du départ de dizaines de familles, l'EI a tenté, selon l’armée américaine, d'empêcher les habitants de quitter la ville, alors que de leur côté, les forces progouvernementales ont été accusées d'empêcher l'entrée de denrées alimentaires.
En mars 2016, l'ONG Human Rights Watch avait tiré la sonnette d'alarme, expliquant que les habitants ne mangeaient "plus que du pain fait avec de la farine préparée à partir de noyaux de dattes et des soupes faites avec de l'herbe".