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Cannes, jour 11 : claques de fin pour le Festival

Victime d'un coup de mou en milieu de parcours, la compétition cannoise s'est terminée en beauté. Un finish royal que l'on doit à la virtuosité de l'Iranien Asghar Faradhi, à l'audace du Néerlandais Paul Verhoeven et au génie d'Isabelle Huppert.

Un bon démarrage, un mi-parcours chaotique et une fin en fanfare. Le Festival de Cannes 2016 s’apparente aux performances d’un club moyen de Ligue 1 : séduisant sans être flamboyant, capable du très bon comme du moins bon, voire du désastreux (on pense au Stade Rennais). On saluera donc la tactique des sélectionneurs qui ont eu le flair de faire entrer peu avant le coup de sifflet final deux cinéastes "apôtres du beau jeu".

Le premier s’appelle Asghar Farhadi. Trois ans après un premier passage mitigé en compétition (avec "Le Passé", une production française), le réalisateur iranien signe son retour sur la Croisette avec un drame puissant sur le déshonneur et le pardon. Tourné à Téhéran, "Le Client" met en scène le basculement progressif d’un professeur vers la folie vengeresse.

L’intrigue est ficelée d’une main de maître (comme souvent chez Farhadi) pour atteindre, crescendo, un inextricable point de contraction autour de cette notion, très sujet de philo, de justice individuelle ("Peut-on se faire justice soi-même ?", vous avez deux heures). La première partie du film est un concentré de conflit larvé. La deuxième est bouleversante. On le dit tout net : pas un autre film de la compétition n’a atteint ce niveau de tension.

Nous sommes tous un peu tordus

Le second réalisateur appelé à jouer les arrêts de jeu est loin d’être un débutant. En 1992, le Festival avait d’ailleurs fait appel à lui pour donner le coup d’envoi du tournoi. Il l’avait fait avec "Basic Instinct". On aura reconnu le trop rare Paul Verhoeven. Inutile de rappeler la sensation que son thriller érotique, aujourd’hui culte, avait provoquée à l’époque.

De retour en haut des marches à 77 ans, le cinéaste néerlandais frappe toujours aussi fort mais, cette fois-ci, avec un film en langue française. Adapté d’un roman de Philippe Djian, "Elle" met en scène les rapports ambigus qu’une entrepreneuse prospère entretient avec son violeur. Elle, c’est Isabelle Huppert, géniale, qui démontre, s’il était encore besoin de le faire, qu’elle est la plus grande actrice française. Celle qui prend le plus de risques sans jamais se ridiculiser ni se caricaturer (au cinéma en tous cas). Ici, pourtant, il y avait de quoi, tant les situations sont improbables.

De fait, le film de Verhoeven file à l’allure d’une comédie (c’est parfois hilarant) au sein de laquelle se meut une multitude de personnages aux névroses les plus inavouables (pour info, il existe des personnes qui aiment regarder des vidéos de femmes écrasant des insectes). Nous sommes tous un peu tordus, semble nous dire Paul Verhoeven. C’est vache, mais réjouissant.

Les jeux sont ouverts

Espérons que, malgré leur passage tardif dans la compétition, ces deux réussites figurent dans le palmarès. Difficile de dire où. Comme l’an passé, les jeux demeurent ouverts. Isabelle Huppert pourrait s’adjuger le prix d’interprétation féminine mais cette année, la concurrence est rude. La Brésilienne Sonia Braga ("Aquarius"), l’Allemande Sandra Hüller ("Toni Erdmann"), l’Américaine Kristen Stewart ("Personal Shopper") ou encore la Française Adèle Haenel ("La Fille inconnue") sont également sur les rangs. Ce cru 2016 aura été un festival d'actrices.

Asghar Farhadi mérite la Palme d’or mais c’est l’Allemande Maren Ade, avec "Toni Erdmann", qui demeure la favorite aux yeux des critiques. Il ne serait pas non plus improbable que le jury de George Miller choisisse de "palmer" un vieux briscard du Festival. On cite Ken Loach, dont le drame "Moi, Daniel Blake" a ému la Croisette. Ou Pedro Almodovar en grande forme avec son magnifique mélo "Julieta". Le réalisateur espagnol a cet avantage d’être toujours reparti bredouille de Cannes. Une Palme d’or en guise de rattrapage ?