
Le Conseil français du culte musulman a annoncé dimanche avoir mis en place un "conseil théologique". Une initiative qui vise notamment à contrer la propagande jihadiste qui fleurit sur Internet. Explications.
Face à la menace jihadiste, le Conseil français du culte musulman (CFCM) veut agir. L’instance, considérée par l’État comme la principale instance représentative des 4 à 5 millions de musulmans de France, a annoncé dimanche 8 mai la création d’un "conseil théologique". Objectif : proposer un contre-discours face à la propagande jihadiste, qui séduit beaucoup de jeunes, notamment via Internet. "Cela donne une nouvelle dimension à notre organisation, qui ne se positionne désormais plus seulement au niveau de l'administration et de la gestion", estime le président du CFCM, Anouar Kbibech, évoquant un "jour historique".
Une initiative qui fait sens pour beaucoup de musulmans. "Une instance purement strictement religieuse est bien entendu nécessaire", estime Tariq Ramadan, professeur d'Études islamiques contemporaines à l'université d'Oxford. "Mais s’il est bien de créer un conseil théologique, c’est tout autre chose de développer sa crédibilité", nuance-t-il.
Interrogé par France 24, Anouar Kbibech insiste sur la composition de la nouvelle instance, que le CFCM a voulu la plus ouverte possible : à l’exception des salafistes, "toutes les sensibilités sont représentées dans ce conseil qui compte 25 membres", insiste-t-il. L’éventail des sensibilités est large en effet, puisque seront représentés l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche du mouvement des Frères musulmans, mais également le Tabligh, un courant qui prône une pratique rigoriste et littéraliste de l’Islam, connu notamment pour le prosélytisme de leurs membres qui font du porte à porte.
Mise en place du Conseil Théologique du #CFCM :nouvelle dimension pour répondre aux attentes des Musulmans de France pic.twitter.com/iIGcPtEKZq
— Anouar KBIBECH (@AnouarKbibech) 8 mai 2016
Des "avis" sur des questions de société
Connu pour ses positions libérales, l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou fait partie des 25 théologiens qui siègeront au sein de la nouvelle instance. "J’ai accepté parce que je suis de manière générale favorable à ce genre d’initiative", explique-t-il à France 24. Quant au fonctionnement du conseil théologique, il dit "ne pas en savoir grand-chose". "C’est assez flou", admet l'imam de Bordeaux. Placé sous l’égide du CFCM, la nouvelle instance tiendra deux réunions par an, avance de son côté Anouar Kbibech. Au cours de ces rencontres seront abordés, outre la question de la lutte contre la radicalisation, des thématiques de société, comme la fin de vie par exemple, ainsi que des questions liées à la pratique du culte musulman en France.
Selon le communiqué du CFCM, il s’agira surtout "d’élaborer un contre-discours basé sur un argumentaire théologique solide, en réponse aux discours véhiculés par certains et qui circulent sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes". "Sur des notions comme le jihad ou la hijra [l'installation en terre musulmane, NDLR], il faut des avis éclairés, émis par des personnalités compétentes et crédibles", a fait valoir le président du CFCM.
"C’est le CFCM qui soumettra les questions au conseil, sur la base de propositions émises par des fidèles", précise-t-il. Par la suite, le conseil théologique rendra des "avis". Anouar Kbibech refuse d’utiliser le mot fatwa, "mal utilisé et servi à toutes les sauces", selon lui. Il précise qu’une fatwa est un avis sur une situation particulière, alors que "le conseil théologique rendra des avis sur des questions d’ordre général, qui concerneront tous les musulmans de France".
Quelle légitimité ?
Reste à savoir comment ces avis seront reçus par la communauté musulmane en France et quelle légitimité ils auront. Pour Tareq Oubrou, "il ne faut pas se faire d’illusions. Ce conseil n’est pas une baguette magique qui va résoudre les problèmes théologiques dont souffre l’islam depuis dix ans".
Il doute que les avis rendus fassent autorité auprès du plus grand nombre. "Il y a déjà des réticences face au CFCM : aux yeux d’une grande partie des jeunes musulmans de France, l'instance n’est pas crédible", rappelle-t-il, soulignant que de nombreux musulmans ne se sentent pas représentés par les membres du CFCM, "qu’ils considèrent comme à la botte du gouvernement et trop souvent issus de la première génération d’immigrés". Un avis partagé par Tariq Ramadan, qui observe que "vu que la source de cette instance, le CFCM, a peu de crédibilité, c’est la diversité et la pluralité des voix siégeant à ce conseil qui devront être garantes de sa légitimité".
La question de la représentativité de l’Islam de France est majeure et revient régulièrement sur le devant de la scène, tant les courants y sont différents. "J’ai accepté d’y siéger pour défendre mes idées face à celles des autres", explique pour sa part l’imam de Bordeaux. Le CFCM, instance élue par des représentants des mosquées de France, a souvent été critiquée pour son manque d'actions concrètes.
Tareq Oubrou estime cependant que ce conseil théologique peut contribuer partiellement à la lutte contre la radicalisation. " Mais il faut être réaliste : c’est un phénomène profond, dont le propre est de se développer à la périphérie, hors des instances traditionnelles", rappelle-t-il, évoquant le rôle d’Internet. "Un conseil théologique ne peut pas tout résoudre". Et de souligner : "Dans d’autres pays, il y a déjà des instances théologique qui font autorité, comme la mosquée Al-Azhar en Égypte par exemple, mais cela n’empêche pas le discours radical de s’y développer".
Concernant la lutte contre la radicalisation à laquelle il préfère le terme "extrémisme violent", Tariq Ramadan reste pour sa part sceptique sur l’efficacité d’un tel conseil théologique. "Il faut répondre aux discours des extrémistes violents par des prises de positions religieuses, afin de les déconstruire. Il faut également travailler sur la question de l’embrigadement des jeunes", explique-t-il. Il souligne également que pour être efficace "le conseil doit pouvoir faire parvenir son message aux jeunes, s’il le faut par Internet ou les réseaux sociaux et faire un travail éducatif en amont". "Émettre des avis ne sert à rien, il faut agir", assène-t-il. "Le tout est de savoir si ce sera un conseil théologique symbolique ou d’action".