
Après la divulgation, par Greenpeace, d'une partie des négociations sur un accord de libre-échange entre les États-Unis et l'UE, le président François Hollande est monté au créneau, se déclarant hostile au traité à ce "stade des négociations".
Menaces sur le TTIP. La France est prête à dire "non" au futur traité instaurant une zone de libre-échange commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne "en l’état actuel des négociations", a assuré le président français François Hollande mardi 3 mai. En Allemagne aussi, l’heure est à la critique : le porte-parole des sociaux démocrate du SPD au Parlement européen, Karl Lange a estimé que les points d’achoppement étaient trop importants pour espérer arriver à un accord rapidement.
Greenpeace à de quoi se réjouir : les deux principales locomotives politiques de l’UE tapent sur l’ambitieux projet de libéralisation du commerce transatlantique. Cette levée de boucliers découle de la publication, la veille, de 248 pages des négociations secrètes entre les délégations européennes et américaines par l'ONG de défense de l'environnement.
Grands méchants américains ?
Ces documents démontrent que "les Américains sont en position de force" et tentent de faire "baisser les standards de protection de l’environnement et de protection des consommateurs", a assuré à France 24 Faiza Oulahsen, responsable du dossier du TTIP pour Greenpeace Hollande, à l’origine de la publication des documents secrets. "La réalité de la négociation sur le TTIP est encore plus sombre que ce qu'on craignait", résume le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung tandis que Le Monde estime que ces documents soulignent à quel point les États-Unis sont fermés à la négociation.
À la lecture critique des documents publiés, les États-Unis apparaissent comme particulièrement intransigeants et peu à même de comprendre – et a fortiori de tolérer – le sacro-saint principe de précaution à l’européenne. Ils veulent en outre donner aux entreprises un droit de regard sur l’adoption de législations qui pourraient heurter leurs intérêts commerciaux et refuser de reconnaître certaines appellations contrôlées en Europe comme le Parmesan ou le Champagne.
L’Europe de son côté ne parvient pas à avancer ses propres pions commerciaux face à la rigidité américaine. D’où les appels à mettre un terme à ces négociations et abandonner l’idée de créer cet énorme marché commun pour plus de 800 millions de citoyens.
"Mensonge pure et simple"
Cette analyse des détracteur du traité serait une vision très superficielle de la situation, selon plusieurs experts interrogés par France 24. "Dire que nos standards sont menacés est un mensonge pur et simple. Ce ne sont que les négociations et pas encore les positions finales des deux parties", tient à rappeler Jacques Pelkmans, spécialiste des négociations sur le TTIP au Center for european policy studies (CEPS). "S’il s’agit de dire que les États-Unis ont une autre vision des choses que les Européens sur certains dossiers, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire que le point de vue américain va prévaloir au final", renchérit Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII).
L’intransigeance du camp américain serait avant tout un choix tactique. La fermeté est utilisée "pour savoir jusqu’où l’autre partie est prête à aller, c’est une arme classique des négociations", assure Jacques Pelkmans. À cela s'ajoutent des considérations américano-américaine : les négociateurs, mandatés par l'État fédéral, sont aussi moins prompts à faire des concessions car ils ne peuvent s’engager pour tous les États américains qui auront le dernier mot sur un certain nombre de points (comme des aspects de l’agriculture).
La France craint un TTIP à minima
Pour ce spécialiste, le seul vrai intérêt de cette fuite de documents est d’avoir accès aux positions américaines. "Les négociateurs américains ont tenté de maintenir un secret absolu pour ne pas dévoiler leur jeu", souligne-t-il.
Maintenant que les propositions de chacun sont sur la place publique, une chose est claire : "Au delà de l’aspect technique qui consiste pour chaque partie à clarifier ses points de vue, les négociations n’ont que très peu avancé pour trouver un terrain d’entente", résume Sébastien Jean. Pour des négociations qui ont débuté il y a près de deux ans, c’est un maigre bilan. "Il n’y a pas eu encore d’arbitrage politique qui aurait permis de rapprocher les positions", précise le directeur du CEPII.
D’où l’exaspération française et le "non" présidentiel. La France craint, en effet, que Barack Obama appuie maintenant sur l’accélérateur pour parvenir à un accord avant la fin de l’année. Le locataire de la Maison Blanche ne veut pas que son successeur soit tenté d’enterrer le projet de TTIP. "Le contexte politique actuel aux États-Unis est hostile à cet accord qui compte beaucoup pour Barack Obama", rappelle Sébastien Jean. Les deux principaux candidats, Donald Trump et Hillary Clinton se sont montrés enthousiastes à l'idée de signer un accord transatlantique.
Si Washington presse pour aboutir à un traité rapidement, il risque de n’y avoir consensus que sur les points les moins complexes, c’est-à-dire les tarifs douaniers, "ce qui ne serait pas bon pour l’économie française", note Sébastien Jean. Certains secteurs clés en France, comme l’agriculture et plus spécifiquement l’élevage, risqueraient de pâtir de l’accroissement de la concurrence avec les États-Unis. Le "non" de François Hollande serait donc, selon Sébastien Jean, pour éviter un TTIP à minima. Paris voudrait un traité bien plus ambitieux… n’en déplaise à Greenpeace.