La situation des quelque trois millions de Pakistanais qui ont été contraints de fuir au cours des affrontements entre l'armée et les Taliban devrait constituer la priorité du gouvernement, estime l'analyste Samina Ahmed.
L'annonce de Richard Holbrooke, représentant spécial auprès du président Obama pour le Pakistan et l'Afghanistan, d'octroyer 200 millions de dollars supplémentaires pour venir en aide aux personnes déplacées à l'intérieur du Pakistan, fuyant la vallée du Swat, a certainement apporté un léger répit politique pour le jeune gouvernement civil pakistanais. Islamabad, devant faire face à 3 millions de nouveaux réfugiés internes - résultat de ses actions militaires visant à évincer les Taliban de la division Malakand -, ne pouvait qu'accueillir chaudement cette promesse américaine.
Malheureusement, cela ne veut pas dire que l'aide sera immédiatement administrée aux gens qui en ont besoin maintenant. Processus politique oblige, le montant nécessite encore l'aval du Congrès américain. Bref, une entreprise qui peut prendre du temps.
Les grandes organisations internationales présentes dans cette crise éprouvent également des difficultés à répondre rapidement aux besoins massifs. Les Nations unies ont demandé 280 millions de dollars d'aide alimentaire en faveur des déplacés du Nord-Ouest. Ils n'ont, pour l'heure, pas encore reçu la moitié de cette somme. Et le budget humanitaire général, de 543 millions de dollars, n'est actuellement financé qu'à hauteur de 22 %. Aux vues de la situation d'aujourd'hui, les réserves de médicaments ne suffiront pas pour ce mois.
L'inaptitude de la communauté internationale à répondre assez rapidement a créé une "faille humanitaire". Faille que les groupes radicaux sont déjà en train de combler.
Comme ils l'ont fait à la suite du tremblement de terre de 2005 au Pakistan, les groupes extrémistes religieux, farouches opposants à la campagne militaire, exploitent les efforts humanitaires pour promouvoir leur propre agenda. Les communautés déplacées à cause d'une guerre mal engagée pourraient se profiler comme des sujets particulièrement vulnérables à l'endoctrinement djihadiste. En somme, le gouvernement pourrait bien remporter la bataille territoriale aujourd'hui mais perdra sûrement, à plus long terme, celle des croyances et des convictions de ses propres citoyens.
Evidemment, une part significative du problème vient du fait que les opérations de l'armée viennent beaucoup trop tard. Plutôt que de se confronter résolument aux Taliban0 en temps voulu, les gouvernements civil et militaire ont choisi la pire des politiques : alterner l'utilisation de forces arbitraires avec des pactes d'apaisement pas très perspicaces. Cela n'a fait que renforcer les Taliban, rendant le combat d'aujourd'hui nettement plus difficile qu'il aurait pu l'être, quelques années auparavant.
L'utilisation soutenue de la force par l'armée, son incapacité à traiter la totalité des coûts pour les civils et son refus d'accorder à l'aide humanitaire un accès efficace aux zones de conflits... Tant de mesures prises qui ont déjà montré leur contre-productivité. Un autre danger serait que l'armée se serve de son éventuel succès pour étendre sa domination dans la reconstruction et gagner ainsi les faveurs de l'opinion publique, afin de renforcer sa position dans le pays. Malgré la transition pakistanaise, en février 2008, vers des règles civiques, les militaires continuent de dominer les institutions-clés. Cela prendra donc du temps pour que leurs ambitions soient complètement contenues.
Si le Pakistan quitte cette crise pour une situation plus stable et plus démocratique, tous les efforts d'assistance (secours, réhabilitation et reconstruction) doivent être entre les mains des civils. C'est à eux de répondre aux besoins de la population locale et de renforcer leurs communautés. La clé pour gagner cette guerre réside dans le fait de battre les groupes islamistes radicaux ainsi que l'armée dans cette "course à l'aissistance".
Heureusement, il y a toujours un large soutien populaire et politique pour contrer les Taliban. Dans le scénario idéal, les communautés déplacées à cause de la présence talibane et du conflit armé deviendraient une source de soutien à la paix. Ceci, une fois qu'elles aient été dument réhabilitées et qu'elles soient retournées chez elles, où règneraient les règles de droit et où les activités économiques auraient repris.
Les Etats donateurs ne doivent pas seulement se tenir à leurs promesses de don, mais doivent également soutenir un régime civil démocratique, en engageant dans le processus de reconstruction les organisations non gouvernementales et le gouvernement fédéral élu - et non les militaires - avec des mécanismes de surveillance indépendants.
Quelque 3 millions de personnes déplacées, c'est certainement une situation de crise. Mais, si l'assistance est mise en place rapidement et gérée de manière efficace avec le gouvernement élu en première position, cela pourrait bien représenter une opportunité pour renforcer la voix des laïcs au Pakistan. Islamabad et ses partenaires internationaux ne peuvent pas se permettre de manquer cette chance.