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Dans le cortège contre la Loi travail : "Non à l’uberisation de la société !"

Plusieurs milliers de jeunes et de salariés se sont réunis jeudi à Paris pour réclamer le retrait du projet de loi destiné à réformer le Code du travail. De République à Bastille, France 24 a suivi le cortège.

Après la pluie, le beau temps. Deux semaines après le rassemblement du 9 mars qui avait réuni sous un ciel pluvieux des milliers d’étudiants et salariés opposés à la loi dite "El Khomri", c’est par grand beau que près de 10 000 manifestants ont battu le pavé parisien, jeudi 17 mars, d’après les chiffres de la préfecture.

Ils étaient 150 000 dans toute la France, selon les syndicats, la moitié moins, indiquent les autorités. Pour cette deuxième journée de mobilisation, la revendication est demeurée la même : retrait "pur et simple" de la réforme du Code du travail souhaitée par le gouvernement de Manuel Valls. Avec ou sans les "corrections" qui ont été proposées depuis.

Rendez-vous avait été donné en début d’après-midi Place de la République. Rien dans le ciel n’annonce un changement de temps. Si la journée ne risque pas s’assombrir, on ne peut pas en dire autant du futur. C’est ce que craint en tous cas Collyn, 17 ans, venue avec tous ses camarades du lycée Pablo-Picasso de Fontenay-sous-Bois pour dire "non" à une loi qui met son "avenir en jeu". "Je n’ai pas envie de travailler plus pour gagner moins", lance-t-elle avec un sens certain de la formule.

Ils sont nombreux comme elle à avoir affûté leurs mots d’ordre. Dans le cortège qui s’ébranle petit à petit vers la Bastille, c’est un festival de slogans qui se met en marche. "Nous ne sommes pas de la chair à patrons !", clame-t-on au mégaphone. "Faisons vallser (sic) la Loi travail !", a-t-on écrit sur un bout de carton.

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Comme beaucoup, Marian s’est joint au défilé avec une pancarte. "La précarité doit changer de camp", y lit-on. "Ce sont toujours les salariés qui sont victimes de la précarité, et non pas les gouvernements incompétents. En gros, on est là pour dire qu’on veut les virer", argue-t-il en guise d’explication de texte.

Professeur dans un collège de Rueil-Malmaison, le jeune homme de 27 ans n’en est pas à sa première manifestation. En 2006, alors lycéen, Marian était sorti dans la rue, comme des milliers d’autres, pour exiger le retrait du Contrat nouvel embauche (CPE). La forte mobilisation avait alors contraint le gouvernement Villepin à enterrer le projet.

"Les textes changent, les couleurs politiques du gouvernement changent, mais l’idée est la même : créer de la précarité, commente-t-il. La philosophie de cette loi El-Khomri est clairement antisociale. En substance, on nous dit qu’en impulsant de la flexibilité, on va faire baisser le chômage. C’est faux évidemment, puisqu’on va autoriser les licenciements économiques pour les multinationales qui dégagent des bénéfices."

"On est en train de casser le Code du travail"

Plus loin, postée sur le trottoir, Simone regarde passer le cortège, "heureuse de voir cette jeunesse dans la rue". "Je regrette seulement qu’elle n’ait pas défilé pour les retraites", confesse cette ancienne fonctionnaire hospitalière qui a tenu à se déplacer pour "défendre le Code du travail". Accrochée à sa veste, une pancarte s’insurge : "Non à l’uberisation de la société".

Comme beaucoup de manifestants, la septuagénaire fustige ces "sociétés de partage qui font fi de la législation" mais sont érigées en nouveau modèle économique. "On est en train de casser le Code du travail et de créer un vide dans lequel s’engouffrent des groupes comme Uber ou Airbnb qui ne déclarent pas leurs salariés et ne leur offrent pas d’assurance", déplore-t-elle.

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À mi-chemin entre République et Bastille, Yohan se fraie un passage parmi les manifestants. Avec son t-shirt vantant sa start-up dont le nom finit par ".com", le jeune homme détonne quelque peu. La Loi Khomri d’ailleurs, il n’a rien contre car "elle a pour but d’aider les patrons à embaucher. Tout n’y est pas bon, mais je ne vais pas vous le cacher, le Code du travail mériterait d’être simplifié".

Si ce patron de 23 ans s’est immiscé dans le cortège, c’est pour faire connaître sa petite entreprise qui propose de mettre en relation des personnes désireuses d’échanger leurs compétences, "soit en les troquant, soit en les monétisant". "Nous, on a une solution qui est l’économie collaborative", assène-t-il à contre-courant du discours ambiant.

Dans les rangs de la manifestation, l’opportunisme de l’entrepreneur amuse plutôt qu’il n’offusque. "Les gens sont plutôt sympas et on peut discuter. Certains disent que je suis culotté", se congratule-t-il. Avant de reprendre : "Il suffit de se bouger. En France, on manque d’ambition, on a peur de l’avenir. Si on dit que le système est merdique, forcément on n’avance pas."

"C’est la rue qui a fait changer les choses"

Beaucoup moins porté sur les vertus du capitalisme et de la mondialisation, à l’avant du cortège, les jeunes manifestants se défendent d’être dans la protestation systématique. "Cette loi ne va pas dans le bon sens, juge, sous couvert d’anonymat, un étudiant en Écologie et biodiversité à Paris-VI. Moi, je me bats pour une autre société. C’est de notre futur dont il est question et il doit prendre une autre direction."

Alors que le rassemblement arrive à la Bastille, la colonne de Juillet trônant au milieu de la place vient rappeler au jeune homme l’importance de se faire entendre dans la rue. "Le monument célèbre la révolution de 1830 qui a fait chuter un pouvoir. La Révolution française, la Commune, le Front populaire… Tout dans l’Histoire montre que c’est la rue qui a fait changer les choses. Je n’ai pas l’impression que c’est en se mettant autour d’une table avec le président qu’on va y arriver. Nous, on veut montrer qu’on peut bloquer les choses, qu’on peut bloquer les banques, qu’on bloquer leurs circuits de finance."

Malgré ses velléités révolutionnaires, le rassemblement parisien s’est déroulé sans heurts majeurs. Selon l’AFP, des établissements bancaires et une agence immobilière situés sur le parcours ont été dégradés. Dans la soirée, après la manifestation, des échauffourées ont opposé des étudiants et forces de l'ordre sur le campus universitaire de Tolbiac, où cinq personnes ont été interpellées. Dans d’autres villes, comme Rennes, Marseille ou Strasbourg, les manifestations ont été émaillées d’incidents.